Une belle femme sur une vieille photo en noir et blanc, prise en 1938. Elégante, elle dégage joie et bonheur. Mon frère Sacha et moi n’avons pas connu notre arrière-grand-mère. Ma famille connait son histoire par le biais de quelques récits de famille, nos propres recherches et celle d’historiens documentant l‘histoire dramatique de ces femmes martyres mortes pendant la Deuxième Guerre Mondiale, en particulier les femmes luxembourgeoises détenues puis tuées au camp de Ravensbrück. Mon appréciation personnelle va vers ces historien/nes, professionnel/les ou amateurs qui ont essayé de reconstituer les histoires individuelles pour qu’elles ne soient jamais oubliées. La Guerre atroce en Ukraine lancée par un autre dictateur il y a trois ans illustre combien est important le rôle joué par le patriotisme et l’engagement des femmes lors des guerres. Leur courage est immense. Hier comme aujourd’hui. Des bribes de récits de mon père Jean-Paul Heck, de ma mère Josée Heck-Leyers et de ma tante Danielle Heck-Jacquot, je peux reconstituer son récit comme suit.

Marie Séraphine Heck est née le 1er Juin 1893 à Rombach près de Martelange, fille de François Mertz et de son épouse Marie Mertz (née Fey).  François Mertz travaille dans les mines. Marie Séraphine épouse Jean Heck, né le 24 juillet 1888 à Bech près d’Echternach. La petite famille vit à Differdange, Am Wangert. Deux garçons sont nés de ce mariage, René et Marcel Heck. René et Estelle Heck ont deux enfants, Jean-Paul et Danielle Heck, tous deux aujourd’hui décédés. De mon père et de ma tante nous savons que leur grand-mère fut une femme douce et gentille. Mon père a aussi décrit la tristesse inconsolabe et le traumatisme de son grand-père Jean Heck qui ne saura avec certitude qu’en 1948 que sa femme est morte près de Ravensbrück.

Jean Heck est chauffeur de camion à la commune de Differdange, Marie est mère au foyer quand le 25 avril 1944 la Sicherhseitspolizei Luxemburg vient les arrêter. Le couple est dénoncé par des voisins de rue pour avoir caché de jeunes hommes ne voulant pas être enrôlés par l’occupant Nazi ; ils les aidant à s’enfuir vers la France proche. Jean travaille pendant la journée alors que Marie, femme au foyer, s’occupe de cacher les jeunes hommes qui, la nuit tombée, sont évacués par Jean et Marie vers un réseau de résistance qui leur permet de fuir vers la France. Marie Heck est envoyée à Ravensbrück où elle arrive en octobre 1944 après avoir transité par plusieurs autres prisons. Jean est emprisonné à Hinzert et reviendra à la fin de la guerre.

Marie fait partie de ces prisonnières qui ont été évacuées en catastrophe un mois avant la fin de la Guerre du camp de Ravensbrück pour être entraînées vers Mittwerda dans un Vernichtungslager. Début 1945, le camp de concentration de Ravensbrück était surpeuplé et Heinrich Himmler avait donné l'ordre d'augmenter le taux de mortalité. Au début, les femmes malades et âgées ont été sélectionnées et on leur a promis qu'elles iraient dans un camp où les conditions seraient meilleures. C'est le contraire qui s'est produit. Les conditions de vie dans le camp ont été systématiquement et drastiquement détériorées afin de tuer les femmes, par la faim, la maladie ou le froid. Nombre d'entre elles ont également été tuées par des poudres et des injections de poison. Les funestes registres indiquent que Marie Séraphine Heck est morte gazée le 6 avril 1945. Des sources historiques recueillies auprès des témoignages de codétenues indiquent que dans ce camp les assassinats étaient systématiques. De nombreuses survivantes ont témoigné que ces souvenirs faisant partie de leurs pires souvenirs. Marie a été assassinée alors qu’elle n’avait que 53 ans, quelques jours avant la libération de Ravensbrück le 30 avril 1945 par l’armée soviétique. Elle est morte il y a 80 ans. Jean ne saura pas jusqu’à 1948 quand il reçoit une déclaration de décès du ministère de l’intérieur luxembourgeois que sa femme ne reviendra jamais. Dans une lettre qu’elle adresse de la prison en juin 1944 à sa sœur Madeleine Mertz, Marie exprime son souci pour le bien-être de ses enfants et de son mari Jean, resté veuf jusqu’à la fin de ses jours.

Sans les femmes, la résistance intérieure n'aurait jamais pu exister. Ce furent des femmes simples, modestes, inconnues du grand public, mais dont le rôle et le courage ont, comme des milliers d'autres anonymes, été majeurs face à l'occupant allemand. En regardant sa photo je me demande si elle avait peur ? Des femmes survivantes racontent qu’elles ne se souviennent pas vraiment, qu’elles n’avaient pas vraiment conscience du danger. Ces femmes se rappellent que la peur était secondaire, qu’elles n'avaient pas le temps d'y penser et qu’il fallait agir. Action, patriotisme, elles ont toutes payé un très lourd tribut ; elles ont donné leur vie.

Malheureusement, la participation des femmes aux efforts de résistance contre l‘occupant allemand a été un phénomène longtemps occulté à l’exception de quelques figures élevées au rang d’héroïnes ou de martyres. Une infime proportion de femmes est récompensée par des décorations alors que les hommes deviennent rapidement des héros. A cette époque les femmes sont marginalisées dans nos sociétés, elles n’ont pas d’autorité parentale, ne votent pas. Toutes ces femmes ont assuré leurs devoirs de citoyenne sans en avoir les droits. Heureusement cette époque est aujourd’hui révolue. Comment pouvons-nous aujourd’hui redresser cette omission, alors que nous ne les avons pas connues personnellement ? Il est important de garder et maintenir l’histoire du rôle important de résistante joué par les femmes pendant la Guerre par le souvenir et la mémoire, en racontant leur histoire. La mémoire et l’histoire sont inséparables pour connaître et comprendre le passé. Soit dit en passant et face à ce constat, il est frustrant que notre famille ait dû pousser la commune de Differdange, depuis de longues années, à rendre mémoire et honneur à notre arrière-grand-mère. Il est fort regrettable que la citoyenne de cette ville ait été totalement oubliée par sa ville. Finalement, par la volonté d’une autre femme, bourgmestre récente de Differdange, un honneur lui sera rendu par la ville en nommant une future rue à son nom.

A Marie Heck et aux milliers d’autres femmes résistant l’occupant nazi en Europe, tout comme aux femmes ukrainiennes ces jours-ci, notre société doit des remerciements sincères et appuyés. Son arrière-arrière-petite-fille Emilie vient de le faire il y a quelques jours en visitant avec son école le camp de Ravensbrück. 
        
P Heck
Bech, mai 2025