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Poèmes d'ici et d'ailleurs
Pressetext vu Michikusa Publishing:
Certains livres nous accompagnent la vie durant. Certains lieux aussi. On se replonge dans les uns, on retourne vers les autres, sans cesse, car depuis leur découverte un dialogue s’est noué qui s’approfondit au fil des ans. Les allers-retours vers ces amis féconds deviennent une respiration. Chaque fois qu’on les aborde, le jour se fait dans notre esprit ; ils animent l’horizon de pensées nouvelles dont la fraîcheur étanche les inquiétudes et redonne au corps la vigueur qui lui manquait pour s’élever, être en lien avec ce qui nous entoure. Dans Les Chemins de Buachaille Etive Mòr, Robert Weis nous confie quelques-uns de ces lieux – géographie subjective, certes, mais dont le lecteur saisit d’emblée la singularité et le pouvoir régénératif. On se promène ainsi d’Écosse en Méditerranée, de montagnes en jardins, à travers les forêts du Japon, des Vosges, des Ardennes, mais aussi dans des villes devenues autant de ressources sur la carte d’un équilibre intérieur.
Les textes sont poétiques. Ce faisant, ils ne se limitent pas à dépeindre la dimension esthétique des lieux – bien que celle-ci soit présente et projette à chaque fois le lecteur dans un univers de sensations. L’âme du très pyramidal Buachaille Etive Mòr, niché au cœur des Highlands, offre ainsi de s’atteler « heureux » à la reconstitution perpétuelle du « massif des mots métamorphiques » qui forment la « poésie du monde » (« Buachaille Etive Mòr »). Et l’on comprend à la vue des cônes abrasés d’Écosse que, par-delà le paysage, la fréquentation d’une telle montagne soulève un élan apollinien. Les lieux sont beaux, les arpenter fait du bien et permet sans doute de se « vider la tête », mais surtout l’écriture poétique révèle combien certaines expériences nous font entrer dans une relation pleine et entière avec le monde. Dans Les Chemins de Buachaille Etive Mòr, la nature n’est pas envisagée comme un espace d’accomplissement de soi, une toile sur laquelle projeter nos désirs et nos ambitions. Non, Buachaille Etive Mòr affirme qu’aller de cette façon au-devant du monde, c’est avancer sans rien voir, sans rien éprouver de ce que les lieux ont à nous dire.
Kenneth White n’est pas loin, bien sûr ; d’autres figures aimées non plus – anonymes ou de premier plan, elles accompagnent Robert Weis vers une forme d’ataraxie. Éprouver le pouvoir des lieux, s’en imprégner, en restituer le sens est une aventure dont profitent l’auteur et le lecteur. En ouvrant un dialogue entre soi-même et le monde, on se rapproche ainsi, poème après poème, d’une parfaite complétude.
Les Chemins de Buachaille Etive Mòr, deuxième recueil de Robert Weis, prolonge un travail de longue haleine qui, dans un premier temps, a donné lieu à des textes sur le Japon, parmi lesquels Retour à Kyōto (Transboréal, 2023) et, bien que le cadre ne soit pas strictement défini de façon géographique, Rêves d’un mangeur de kakis (Michikusa Publishing, 2022). Il n’est pas étonnant de découvrir cet ancrage. L’influence du bouddhisme zen, de lettrés voyageurs, tels Bashō ou Kōbō Daishi, se fait sentir dans de nombreuses pages. De même, celle de Nicolas Bouvier, réconcilié avec lui-même lorsqu’il séjourne dans l’archipel entre 1955 et 1956. « L’arbre à la fenêtre », en tête du recueil, donne le ton : l’intérieur et l’extérieur ne sont plus conçus comme des espaces séparés mais s’interpénétrant, bien que distincts, pour donner naissance à une vraie relation. « Voyage de pleine lune » indique la voie à suivre : le poète ne doit pas se laisser guider par l’éclat du soleil mais reconnaître les illusions dont il se berce « dans une combe de lune ». C’est à ce prix qu’il pourra reprendre la route et aller serein, non plus vers un avenir fantasmé, mais en étant sûr de ce qu’il porte au présent dans son cœur. Ne faire qu’un avec le monde sans perdre son identité, se sentir complet dans le vaste ensemble du vivant, distinguer ce qui attire au loin de ce qui grandit à l’intérieur, on reconnaît à chaque fois la substance de l’Asie dont Robert Weis nous dit que, désormais, elle « chemine à [ses] côtés ».
Retour à Kyôto était écrit au départ comme une méditation poétique, à cheval entre l’élégie et le récit de voyage. Cette forme double rendait le manuscrit difficile. Le texte retravaillé aboutira à la relation claire d’une transformation – celle de l’auteur – sur les sentiers de pèlerinage du Kumano Kodō et au contact de l’ancienne capitale impériale. Déjà dans ce récit l’accent est mis sur des lieux : les monts Hiei et Atago, la Kamogawa, le Pavillon d’or… et plusieurs poèmes, souvent des haïkus libres, ponctuent la narration. Aujourd’hui, Les Chemins de Buachaille Etive Mòr creuse un autre sillon, faisant des lieux non plus les étapes d’un voyage d’exploration mais celles d’une exploration géopoétique. Il faut s’en réjouir, et remercier Robert Weis pour cet ensemble et toutes les promesses qu’il contient. Une invitation au plus heureux des voyages, à n’en pas douter.
(François Lantz)
Auteur : Robert Weis
Date de parution : 1/4/2025
Prix de vente : 15.-

 
                     
                     
                     
                    