Il fallait malheureusement s'y attendre. Après le Mali et le Burkina Faso, la population de 25 millions de personnes du Niger a récemment dû subir le troisième coup d'état militaire au Sahel. Voici donc le sort et les droits fondamentaux de presque 70 millions de personnes dans une région des plus pauvres et des plus vulnérables au monde pris en otage par des juntes malveillantes et illégitimes.

Alors que les pays de l’Union Européenne ont essayé depuis des années de maintenir un semblant de stabilité dans cette zone sécuritaire importante, il est triste de voir un pan entier de la coopération au développement luxembourgeoise au risque de s’ébranler comme d'autres jeux de cartes fragiles que sont le Soudan, Haïti, la République Centrafricaine etc. Les ramifications de ces bouleversements seront nombreuses et poseront un véritable puzzle politico-sécuritaire à la communauté internationale et dans lequel s'imbriqueront les dimensions de pauvreté extrême, de mal-gouvernance, du changement climatique et des intérêts économiques avec partout et toujours la hantise terroriste djihadiste à l'arrière-plan.

Alors qu'il faut souhaiter et espérer que les capitales européennes se pencheront sur comment aborder ces différents niveaux de complexité, arrêtons-nous un instant sur les vulnérabilités multi-dimensionnelles de ces trois pays cibles de coopération au développement luxembourgeoise.

Le Niger est officiellement le troisième pays le plus pauvre du monde et ce n'est pas un fait nouveau. Le pays est aussi le pays le plus jeune et le plus fertile au monde : un peu moins de sept enfants en moyenne par femme en âge de procréer. Face à l’absence d'interlocuteurs démocratiquement élus et dans un contexte d'institutions délabrées et corrompues, le réflexe de nombreux pays occidentaux fut de dériver une partie de leur aide publique au développement (APD) vers les acteurs multilatéraux et non-gouvernementaux. Le gouvernement allemand par exemple a récemment rendu publique - par le biais du Deustchlandfunk - combien de personnes au Mali ont pu échapper à la pauvreté grâce aux actions d’ONG locales soutenus par le Gouvernement Fédéral Allemand.

Quid de l'APD luxembourgeoise ? Selon son rapport annuel de la coopération au développement, l'aide luxembourgeoise aux "actions multilatérales" est passée de 57millions d'Euro en 2020 à 93.1 millions en 2022. De tels moyens sont certes justifiés pour l'excellent travail de l'UNICEF, du Programme Alimentaire Mondial ou encore de la Croix Rouge Internationale et qui tombent avant tout sous le volet de l'aide humanitaire luxembourgeoise. Or, qu'en est-il alors de l'aide luxembourgeoise qui revient aux organismes de l’ONU et qui se vantent de s'occuper des droits humains et fondamentaux, de la bonne gouvernance et des mœurs de société? A l'exception de maigrichons succès contre la mutilation génitale féminine dans la zone sahélienne, je crains que des dizaines de millions d'Euro luxembourgeois soient jetés dans le fameux sceau troué.

La faible réduction du taux de fertilité dans les trois pays sahéliens sur les dernières années est due au pauvre niveau d'émancipation et de scolarisation des femmes et des filles. Ceci a pour conséquence des taux croissance démographique forts et qui dépassent les faibles niveaux de croissance économique. Si un niveau de croissance démographique de 3.8 % au Niger ne ressemble pas à grand-chose, imaginons que chaque année la population nigérienne croit de presque un million de personnes. Ces taux sont certes un peu plus faibles au Mali et au Burkina Faso, mais toujours est-il que chaque année 1.5 millions de jeunes s'ajoutent aux marchés de l’emploi de nos trois pays sans la moindre chance de se voir embauché(e)s. Ce sont les mêmes jeunes qui défilent en ce moment dans les rues de Niamey, de Bamako ou d’Agadez en célébrant leurs nouveaux maitres militaires en brandissant des drapeaux russes. 45 % de personnes au Mali vivent dans une pauvreté "sévère" avec 15 % de la population en plus qui sont vulnérables d'y chuter. Les secteurs de l'éducation et de la santé y contribuent à plus de 60 % de la pauvreté.

Les événements au Sahel sont pour le moins inquiétants, ne serait-ce que parce qu'ils affectent directement ce qui fut jadis le fleuron de la coopération luxembourgeoise. Il me semble urgent de pauser et de revoir les approches politiques et de coopération au développement du Luxembourg. Quelles sont les stratégies et les scénarios par pays sahélien au sein d'une vision politique interministérielle luxembourgeoise menée au-delà d’un seul ministère ou d'un seul service administratif ? Quelles stratégies multidisciplinaires adopter face aux trois pays sahéliens en tant que bloc face et par rapport les contextes et les enjeux sous-régionaux et régionaux ?  Il est grand temps de prendre du recul et de mener des réflexions systémiques, participatives et surtout novatrices. C'est le minimum qu'attendent les populations sahéliennes du Luxembourg.

Alain Sibenaler