Il ne devrait pas y avoir de conflits guerriers. S’il y en a, ce n’est pas bien, voire très mal, et ils ne peuvent ni ne doivent être qu’à condition de cesser au plus vite et de disparaître pour de bon, le bien étant déterminant. Si la paix requiert la bienfaisance, les guerres n’arrivent jamais sans aucune malfaisance, d’où l’importance pour nous de voir ce qui ne va pas afin de faire le bien et d’éviter le mal. En ce moment, il y a beaucoup trop de mal dans ce monde, alors que faire sinon le bien ? Bien faire au jour le jour, voilà l’idée, et se dire bonjour au quotidien, voilà déjà un bon début.

Le premier des cinq livres de Moïse, le livre de la Genèse (Gn), commence sur un texte synthèse très beau (Gn 1,1-2,4a) qui affirme la bonté de toute la création évoquée en sept jours grâce à cette subtilité littéraire que le texte biblique met en avant pour se faire entendre par qui l’étudie. En tenant compte de l’origine et de l’accomplissement de toute la création, ce texte nous présente la création comme faisant l’objet d’une bonne nouvelle et donc évangélique. Il s’agit d’une vision théologique de la création, le bien se voyant au regard divin, où l’humanité trouve toute sa raison d’être à titre de bonté et de bienfaisance. Ce texte synthèse est évangélique en n’allant qu’à l’essentiel. Par conséquent, il n’évoque pas le mal, dont la thématisation requiert le discours biblico-sotériologique qui suit (donc à partir de Gn 2,4b), c’est-à-dire l’entière narration biblique qui recouvre ladite portée évangélique grâce à sa conclusion pascale-eucharistique où le bien s’identifie à l’amour.

Un homme de prière qui a vécu en témoin théologique de la bienfaisance et dont un nouveau film biographique réalisé par Frédéric Tellier vient de sortir dans des salles de cinéma n’est autre que l’abbé Pierre. Dans une interview des archives de la RTS datant de 1990 (à la suite de la sortie du film Hiver 54), il dit beaucoup de choses remarquables et d’une actualité surprenante, et il est intéressant d’écouter cette interview avant d’aller voir le nouveau film biographique. On y trouve e. a. ce passage touchant, en direct et profond à la fois, où l’abbé Pierre dit pourquoi il ne s’est pas découragé « au contact des souffrances les plus poignantes, les plus désespérantes » : « Je n’ai jamais eu beaucoup d’illusions […] ; c’est ce que j’appelle la désillusion enthousiaste ; c’est le commentaire de la page de l’Évangile des disciples d’Emmaüs ; ils avaient cru, dans l’illusion, ils voyaient notre Seigneur, lui en ces rameaux […] ; et puis, ils voient tout effondré, c’est la désillusion ; mais quel est le préliminaire nécessaire pour que soit possible l’enthousiasme ? L’enthousiaste qui est « entheos », l’âme qui devient un avec l’Éternel ! Mais ça n’est qu’au-delà de l’illusion et de la désillusion ! » Voilà l’abbé Pierre, cet homme de prière qui est en Dieu ce qu’Il est, y compris lui-même, et qui vit en ce monde sans se prendre pour Dieu, mais convaincu du Bien sans qui rien ne fait sens. La bonté est existentielle, voilà tout, et on n’a pas besoin d’illusions (et donc de fuir la désillusion) comme si le mal pouvait vraiment prévaloir sur le bien, chose impensable. Contrairement au mal qui se perd, le bien n’est pas vide de sens.

Parlant de l’abbé Pierre ou de Lucie Coutaz qui l’a soutenu et dont le film biographique qui vient de sortir ne manque pas de tracer l’émouvant portrait, il convient de rappeler que le pain de ce jour n’appartient pas qu’aux gens riches, mais que tout le monde en a besoin et y a droit. Bien faire, c’est partager, c’est veiller à ce que le pauvre soit aidé (voir à ce propos la signification en hébreu du nom Lazare), que chacun ait de quoi manger et un abri digne de ce nom. Pour les chrétiens, c’est ainsi qu’il faut préparer le chemin du Seigneur, sachant que l’avènement de son Jour est indissociable de la bonté.

La légitimation de tout, y compris des religions, a bien entendu pour critère universel la bonté qui se traduit en bienfaisance. « Remember ! It is christianity to do Good always », voilà p. ex. ce qu’écrit Charles Dickens à la fin de son récit sur la vie du Christ, un manuscrit très intime qu’il a rédigé pour être lu à ses enfants (surtout le jour de Noël) et dans lequel il souligne à double trait « to do Good ». The Life of Our Lord, voilà le titre de ce manuscrit dickensien que son auteur n’a pas donné en publication, mais qu’il a composé à l’adresse de ses enfants pour que le récit des actes et des paroles du Christ leur inspire la bienfaisance. Ainsi leur raconte-t-il à sa façon, mais toujours en suivant les quatre Évangiles et les Actes des Apôtres, les miracles et les paraboles du Christ. Charles Dickens avoue vouloir toucher le cœur de ses enfants pour y semer la bonté, et c’est en faisant cela qu’il termine son manuscrit sur le mot paix, en anglais « peace ».

Marc Gilniat

Eppelduerf