Et tout le monde regarde ailleurs…

Pardon, êtes-vous myope ? Ou tellement naïf ? Secouez-vous un peu, merde alors ! Seulement quelques semaines après les élections et un changement de gouvernement et de ministre de l’Intérieur plus tard, voilà que les cinq personnes du top de la hiérarchie policière luxembourgeoise demandent, ensemble, ou en même temps, de partir à la retraite pour le 1er juin de l’année prochaine. Simple hasard du calendrier, un non-événement, un simple fait divers ? Un tel évènement devrait faire sursauter la presse, réveiller des curiosités, alerter l’opinion publique, le monde politique ou une partie tout au moins.

Mais non, pas du tout. Se faire mettre la chaise devant la porte par le nouveau ministre est plus qu’un désaveu de ces hauts-gradés, on peut parler d’un véritable limogeage orchestré et déguisé, d’une chasse aux sorcières. Mais le tout hypocritement bien emballé dans du papier cadeau, fêtes de fin d’année obligent. Plus qu’étonnant alors qu’il s’agit d’un vrai scandale politique. Même la nouvelle opposition semble peu intéressée, la pasionaria du plus grand parti d’opposition, plus préoccupée de parfaire sa garde-robe que son rôle de cheffe de l’opposition, ne moufte pas...

La surenchère démago sécuritaire.

Quel désaveu, quelle gifle pour le nouveau gouvernement, qui avait l’intention de faire de la « surenchère démago sécuritaire » le b.a.b.a. de sa politique. Faux départ, dirait-on à l’occasion d’un cent mètres en athlétisme.

Le nouveau ministre de l’Intérieur, qui ne cesse de confondre la Ville de Luxembourg avec les rues de Kansas City, voulait marquer un grand coup. Que tout le monde sache que « petit Léon », qui veut grandir le plus vite possible, s’est donc précipité, corps et âme, livres de droit fermés, tête baissée et cervelle déconnectée, dans ce qui devrait constituer la nouvelle politique sécuritaire, demandée depuis des mois notamment par les responsables politiques de la Ville de Luxembourg. Ces derniers, depuis des décennies, se réveillent régulièrement, quelques mois avant les échéances électorales, le spectre de la « surenchère démago sécuritaire » sur le fronton. Cette année on a sorti un projet, non, une petite idée, en demandant, sans aucune préparation juridique ad hoc, sans être à même de mettre sur la table ne serait-ce qu’un embryon d’un fonctionnement, la mise en place d’une police municipale. Comme un nouveau gadget cette invention est susceptible de constituer une réponse à toutes les questions, liées de près ou de loin aux problèmes de sécurité, choyés pour les besoins de la cause, qui se posent, voire même à celles qui ne se posent pas. Vous demandez des précisions à trois ministres et vous aurez trois réponses différentes. Cette nouvelle police est d’abord créée et ensuite on regarde comment on peut l’intégrer dans le dispositif existant, au nez et à la barbe de la hiérarchie policière qui vient de donner magistralement sa réponse, sous forme de démission quasi collective, mal camouflée en départ à la retraite.

Ou peut-être que « petit Léon », qui veut grandir rapidement, les a poussés vers la porte de sortie (ici synonyme de démission), avec l’aide discrète mais efficace de la bourgmestre de la Ville de Luxembourg. Les hauts responsables de la Police, tout comme leurs responsables politiques, depuis des mois, sont critiqués voire carrément désavoués par les deux partis politiques désormais au pouvoir, oh quel hasard, à la fois au gouvernement et au Collège échevinal de la Ville de Luxembourg. Ce dernier ayant fait des problèmes dits sécuritaires son fonds de commerce, depuis des lustres.

Et ça marche à chaque fois, incroyable !

Voilà donc « petit Léon » et le Collège échevinal de la Ville de Luxembourg à la manœuvre pour faire croire, car il s’agit entretemps presque d’un acte de foi, qu’ils vont résoudre les problèmes de sécurité, en partie réels et en partie rhétoriques, avec leur nouvelle façon de conduire les affaires de leurs organes respectifs. Tous les deux semblent vivre leur lune de miel, en chambre séparée bien sûr. En attendant que le commandement de la future police municipale sera sous la responsabilité de la bourgmestre qui, j’en suis persuadé, va échanger bientôt ses tailleurs Gucci pour des treillis de police, et se porter en tête des brigades de nuit qui s’occupent notamment à sécuriser le quartier de la gare. « Petit Léon », képi vissé sur la tête, aura certes la responsabilité politique, mais la bourgmestre, qui aime déléguer seulement quand les marrons sont trop chauds, sera seule sur les photos, sauf en cas de bavure. Dans ce cas « petit Léon » devra se débrouiller tout seul, comme un grand, le pauvre petit. Mais tant pis, car il y a du Lucky Luke dans ce garçon qui n’a pas froid aux yeux et qui tire plus vite que son ombre.

Sans abri : fuite en avant, ni queue ni tête !

Je profite de l’occasion pour dénoncer, ici, la précipitation avec laquelle « petit Léon » avec son club de supporters au Collège échevinal de la Ville de Luxembourg, dont fait également partie, docile et muet,  donc complice, « l’abbé Pierre luxembourgeois », a essayé de marquer son arrivée par des mesures contre les sans -abris qui ne sont ni claires, ni précises, qui ouvrent la porte à toutes interprétations possibles, qui mettent dans l’embarras les agents de police qui ne savent plus à quel Saint se vouer, quel texte appliquer, et qui, notamment, sont à la base des départs à la retraite des cinq haut-gradés de la police grand-ducale.

Il est toujours de mauvais conseil de gouverner dans la précipitation. Au moins notre ministre de l’Intérieur nous a démontré, dans un premier temps, comment il ne faut pas faire, ou comment on peut mal faire.  Peut-être qu’il nous fera bientôt la démonstration, dans un deuxième temps,  comment il peut bien faire, pour bien gouverner. Oui, définitivement, la précipitation, en politique, est toujours mauvaise conseillère…

« Gouverner, c’est faire croire », disait, déjà, Machiavel. « Petit Léon » s’en serait-il inspiré ? Tout porte à le croire.

Se contredire plusieurs fois dans la même phrase.

C’est l’exploit, dans le contexte de la lutte sans merci du Collège échevinal et du gouvernement contre les sans-abris, réussi par notre Premier ministre. Dans une interview récente (au 100,7), au sujet des mesures contre les sans-abris, donc les pauvres des pauvres, il a, lisez bien, répondu, dans un premier temps, que tel 1) n’était pas une décision prise par le gouvernement mais 2)par le ministre de l’Intérieur. Donc il semble prendre quelques distances avec cette décision, tout en précisant que 3) cette décision a été ensuite approuvée par le gouvernement, le ministre de l’Intérieur (!) et la Ville de Luxembourg.

C’est clair, non ? En fait pas pour moi ! En comparaison avec notre Premier ministre, Héraclite, célèbre philosophe grec connu pour ses pensées obscures, semble passer pour un personnage qui conçoit bien et s’énonce clairement.

Notre Premier ministre adepte d’Héraclite, sans aucun doute !

Affirmer le contraire et le contraire du contraire dans une même phrase, il faut le faire ! Chapeau l’artiste !

En attendant, le vide, au moins intellectuel, et probablement une certaine lassitude, des hauts-gradés qui ont annoncé leur départ collectif pour le premier juin 2024, posent question. Se sentent-ils encore concernés, vont-ils croiser les bras ou continuer à s’impliquer les six mois qui leur restent à faire ? Comment un ministre de l’Intérieur veut-il, ou peut-il, gouverner alors que dans leur tête, les cinq plus hauts-dirigeants de la Police ont déjà la tête ailleurs, ne se sentent nullement concernés par les velléités du gouvernement, sont absent minded, alors que des décisions politiques du nouveau gouvernement et d’éventuelles modifications législatives devraient être conçues, rédigées voire exécutées par les concernés ?

Poser la question, c’est, déjà, en partie, y répondre. Mais « petit Léon » aussi devrait nous donner des réponses à ces questions et rassurer, au moins, les supporters de sa politique de surenchère démago sécuritaire.

*L’auteur est un ancien député et ancien conseiller d’Etat.