Rejoindre la communauté des bienheureux et en faire partie, ce n’est pas être heureux sans les autres, contre tout un chacun, mais c’est, cela va de soi, être heureux ensemble, être bien en étant tout d’abord et surtout bon, enfin témoigner de la perfection à laquelle on sait ne pas prétendre de soi-même, expression de la grâce divine en des cœurs contemplatifs.

Être le temple du ciel et de la terre qui se découvrent au regard humain, voilà en quoi consiste la vie contemplative. La réalité ne nous appartient que dans la mesure où nous lui appartenons et qu’elle s’appartient aux regards des êtres vivants que nous sommes, une réalité aux yeux ouverts et aux cœurs battants, où l’amour s’affirme avant tout intuitivement. Tous ces braves gens qui se réjouissent du bonheur autour d’eux et qui ne souhaitent de mal à personne, qui à l’égard les uns des autres sont le ciel sur terre et la terre au septième ciel, voilà des personnes qui incarnent bien cette contemplation naturelle que notre monde connaît depuis toujours et qui s’exprime en des sourires donnés au quotidien. C’est la joie de vivre qui rayonne merveilleusement bien sur des visages d’enfants.

Être la demeure de notre propre chez-nous, voilà ce qui nous rend contemplatifs dans un respect réciproque animé de bienveillance. Ne sommes-nous pas en effet au cœur d’un univers qui se concentre en chacun de nous de sorte à nous décentrer en faveur les uns des autres et à nous faire participer d’une ampleur qui nous dépasse en même temps que d’émettre en nos cœurs ce vif appel à la bienfaisance comme unique vecteur de sens ?

Un être humain lucide ne piétine pas le ciel et la terre en son prochain comme si la réalité pouvait vouloir se marcher dessus, mais il les porte en lui-même tout en sachant qu’ils n’ont aucun intérêt à le laisser tomber. Le ciel et la terre nous rapprochent en effet de toutes ces personnes aux regards desquelles ils se sont découverts au fil du temps et qui les ont envisagés au lieu d’en être des contrefaçons abyssales et de se perdre en les masquant.

Même s’il faut se défendre contre des agresseurs, cela n’enlève rien aux béatitudes ni ne suspend aucunement Mt 5,9 : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » Cette filiation est le sujet biblique par excellence. Le premier texte du livre de la Genèse (Gn 1,1-2,4a) nous présente en effet la création théologique du ciel et de la terre comme une véritable cosmogonie de notre univers naissant conscient au regard de l’être humain qui s’y reconnaît tout en en faisant partie. C’est un texte remarquable qui s’adresse à des cœurs littéraires divinement intéressés à la réalité qu’ils considèrent attentivement (voir l’étymologie du verbe latin con-siderare, observer les étoiles) pour ne perdre ni le souffle, ni l’orientation.

Sans doute fait-il sens d’approfondir ce discours biblique en le méditant, ne serait-ce que pour secourir notre monde qui est si souvent ce qu’il ne veut pas être et qui souvent n'est pas ce qu’il voudrait qu’il soit. La méditation comme remède (voir le verbe latin meditari comme fréquentatif de mederi, donner ses soins à), voilà ce qui devrait nous ramener à la vie contemplative selon laquelle, pour parler avec Charles Dickens, l’être humain ne voit pas dans le ciel étoilé que le reflet de ses propres pensées abusivement exclusives (voir Barnaby Rudge, chapitre 29), mais y lève des yeux clairvoyants en parvenant à jouir de son regard apaisé, rempli de lumière (voir Hard Times, chapitre The Starlight).

Marc Gilniat