À quoi bon ?

« Être ou ne pas être (To be or not to be) », qu’en est-il ? (Voir Hamlet, acte III, scène 1, où Hamlet, le héros éponyme, s’interroge sur l’existence humaine que la mort expose à d’importants doutes alors que lui-même s’indigne des « injures du temps / scorns of time ».) « Être ou ne pas être », à quoi faut-il s’en tenir pour vivre sans être atteint de la folie du non-sens qui risque de métastaser en de multiples conflits insensés et destructeurs, ou pour en guérir et s’en remettre ?
Chaque naissance dans le temps manifeste l’ouverture de la temporalité à la nouveauté dans la continuité : phénoménologie étonnante (surprenante) que celle de l’immanence révélatrice de la transcendance (voire Présence). C’est en effet en s’inscrivant dans le temps et en y intervenant que la naissance d’un être temporel présuppose son origine au-delà du temps tout en étant tributaire du néant (ni l’un ni l’autre) qui ne peut être que relatif (voir à ce propos Aristote, Métaphysique Γ, 5, 1009 a 33-40 et N, 2, 1089 a 28). Naître p. ex. en cette année 2024, prenons ce 6 juin, sans être âgé de 2024 ans ni étranger à l’an 2024, voilà un événement impressionnant qui n’est ni précédé d’un temps sans commencement, ni suivi d’un temps sans fin, mais qui provient d’ailleurs tout en faisant preuve d’une temporalité historique.
Si notre naissance dans le temps nous fait commencer notre existence en devenir tout en nous présupposant enfants au-delà de notre avènement d’étants créés, la mort nous fait cesser d’être en deçà des limites de cette même existence tout en nous rappelant à l’esprit l’humilité de notre condition humaine (sans aucune intention dépréciative). Alors voici la question : Ne faut-il pas savoir être et ne pas être pour être vraiment au lieu de n’être pas : to be or (to be) not ?
« Le néant n’est pas vain, ni n’est vain l’être qui le comprend » (J. Gilniat, Sarantaméron, 70, Pensée).
Devenir, n’est-ce pas cesser d’être alors qu’on n’est pas et cesser de ne pas être alors qu’on est – ce chiasme ontologique (c’est-à-dire qui concerne l’étant) exprime en effet l’échangeabilité de l’affirmation et de la négation dans notre réalité marquée de fait d’alternatives forcément relatives et ce faisant non-absolues, cette échangeabilité aux mille tours dont le génie de Shakespeare a donné une impressionnante illustration dans Hamlet –, s’agissant d’être vraiment ou de n’être pas, être et ne pas être nous concernant tous ?
On entend parfois dire qu’après la mort tout sera comme avant la naissance. C’est intéressant, mais qu’est-ce à dire ? Tabula rasa ? Avant notre naissance ainsi qu’après notre mort dans le temps, il est vrai que nous n’y sommes pas en chair et en os ; or ne faut-il pas admettre que nous aurons laissé des traces en bien ou en mal dans le temps après y avoir vécu, la nécessité (du latin ne et cedere) du bien ne cédant rien à la vanité du mal, d’où le seul sens ou l’unique raison qu’il y a pour nous de vouloir le bien et d’éviter le mal ?
Enfin, si après la mort tout est comme avant la naissance chronologique (vu la notion de vérité), ne faut-il pas aussi qu’avant ladite naissance tout soit comme après la mort en question ? Or qu’est-ce qu’on en sait sinon qu’il s’agit d’être vraiment, ayant été enthousiaste à bien faire alors qu’on devenait, ou de n’être pas, ayant été en proie à des absolutismes privés de sens (comme si on n’était jamais né ni qu’on n’allait jamais mourir, enclin à une folle indifférence) et voués à l’échec grâce à l’infaillibilité de l’au-delà divin ? L’onto-thérapie théologique est garante de la nécessité du bien dont nous vivons en termes de bonté, d’où d’ailleurs le bien-fondé de la confiance de qui entend bien faire en s’écoutant de bon cœur.
Marc Gilniat / Eppelduerf