Jeudi, 29.5.14, Le Bouchet-Saint-Nicolas - Pradelles, 24 km
Au petit matin, le temps est chargé et la température ne permet pas de randonner sans une protection et mon windstopper répond tout à fait à sa promesse. Il est jeudi, le jour de l’ascension. D’expérience, je sais que ce jour il est très difficile de voir du monde qui bouge – cette année n’échappe pas à la règle et les deux seuls petits commerces locaux sont fermés. Sans avoir pris soin les jours précédents de faire le plein en ravitaillement, on risque gros puisqu’il n’est pas rare de tomber sur des commerces qui font le pont. Dans ce cas, vous ne trouvez rien sur votre passage pendant trois jours. Mieux vaut donc se renseigner d’avance.
Nous récupérons Henry et Titus qui ont passé la nuit dans le pré sans abri mais également sans pluie et surtout à l’abri du vent dû à la configuration de la construction des maisons avoisinantes.
L’église Saint-Nicolas est fermée et nous prive d’une petite visite. Les petites ruelles du village causent cependant quelques difficultés pour trouver le bon chemin. Après avoir traversé la D31, nous nous arrêtons près de la statue dédiée à Stevenson pour une petite séance photo et empruntons le chemin rural en direction de Landos. Ce qui nous est arrivé au Bouchet-Saint-Nicolas pour trouver le bon chemin n’est pas un phénomène spécifique au chemin de Stevenson. Le pèlerin du chemin de Saint-Jaques-de-Compostelle connaît les mêmes problèmes, à savoir : le fléchage dans la campagne et les bois est vraiment très bien fait de sorte qu’on pourrait presque randonner sans carte. Par contre celui dans les villages n’est en moyenne pas à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’un bon fléchage.
Nicolas s’arrête à deux reprises pour refaire les lacets de ses souliers puisqu’il souffre d’une petite ampoule de la veille, à la suite d’une faute qu’un randonneur chevronné ne devrait pas commettre. Eh oui ça arrive, même aux plus expérimentés, et outre la douleur que cela peut causer, je crois que les bons conseils de tous ceux qui vous entourent et savent bien entendu ce qu’on aurait dû faire pour éviter une telle situation sont plus que pénibles. L’année passée, j’ai moi-même souffert d’une petite ampoule parce que mes pieds transpiraient trop alors que la température dépassait largement les trente degrés. Après un examen méticuleux de la situation et par élimination de tout facteur nocif par ailleurs, je suis tombé par hasard sur la cause possible. C’est une vendeuse d’un magasin d’articles de sports qui me rend attentif au fait que les chaussettes spéciales pour randonneurs, qui vous garantissent une bonne prise du pied contiennent trente-cinq pourcents de laine de moutons. Combiné avec la chaleur et le pied bien protégé dans un soulier de randonneur, vous voyez la suite. C’est la raison pour laquelle j’ai acheté d’autres chaussettes spéciales, cette fois en matière synthétique sans laine naturelle – pour l’instant c’est bon et je n’ai plus eu de problèmes à l’avenir.
Après une droite à n’en pas terminer, nous prenons vers la gauche en direction de Landos et avons ainsi une vue sur la partie du trajet que nous avons déjà traversée. J’ai des difficultés à croire ce que je vois : une procession de randonneurs. Réflexion faite, c’est dans la logique des choses puisqu’à notre arrivée hier il y en avait quelques-uns devant nous. Au moment d’héberger les ânes, nous en avons croisé tout le temps.
A l’entrée de Landos, nous voyons un petit pont dit de Castier, superbement restauré par les amis du même nom. Landos est le point de rencontre de trois chemins de randonneurs : celui de Stevenson sur lequel nous avançons, le chemin de Regordane et le sentier des Gorges de l’Allier. On n’apprend pas trop sur l’histoire de ce village plein d’activités, avec ses commerces ouverts même un jour férié. Inutile de préciser que les affaires marchent bien et tous ceux qui sont en route se retrouvent devant et dans la petite épicerie, au grand plaisir de son exploitant. Voilà l’autre côté de la médaille : soit on se plaint de l’absence de clients, soit on les attend au moment où ils en ont le plus besoin. Dans un rayon de deux cent mètres on trouve tout, une épicerie, un petit bistrot et des toilettes publiques très bien entretenues. Amplement suffisant pour retenir de ce village de passage un très bon souvenir.
Alors que Nicolas et moi, gardons les ânes, Christiane et Gisèle en profitent pour refaire le plein de nos provisions. Sur la petite place devant le commerce, nous revoyons les Américains. Doug vient à notre encontre : « Hey Henry how are you?” – bien évidemment, priorité aux ânes et Cheryl qui me dit : “I had an eye on him yesterday night, Henry was just pasturing below my window in the Retirade.”
D’autres personnes viennent voir les ânes : quatre hommes dont les femmes font le plein de provisions dans l’épicerie. L’un d’eux est un cultivateur qui est juste à la retraite et nous informe vouloir profiter de la vie encore un peu. Il aurait bien voulu continuer le métier, mais des contraintes écologiques l’auraient forcé à abandonner « tout est dicté par des personnes qui n’ont jamais mis un pied sur le terrain et ne savent rien sur la réalité sur le terrain. » Franchement et sans vouloir m’avancer trop, les louanges à l’adresse de nos amis les fonctionnaires revêtent quand même un caractère international.
A midi, nous arrivons dans le petit village de Praclaux et trouvons une aire de pique-nique avec la possibilité d’y attacher les ânes pour les laisser brouter. Les Américains ont vu la même aire et nous mangeons ensemble : du traditionnel chez-nous et du traditionnel chez nos amis d’outre-mer sauf que traditionnel et traditionnel ne veut pas forcément dire la même chose. Un gros mais vraiment gros fromage, du saumon, des poivrons, encore du fromage, une sorte de mayonnaise, etc. – devinez si c’est notre casse-croûte ? Nous échangeons un peu et Doug raconte être un « marine biologist » avec sa sœur. Comme le vent souffle un petit peu et qu’il ne fait pas trop chaud, un bon petit café ferait du bien. Nous n’en avons pas jusqu’au moment où Gisèle découvre un panneau renseignant une petite restauration juste en face de chez nous. On n’y offre que du végétarien et les locaux ne répondent pas tout à fait à ce qu’on attend normalement d’un restaurant, mais nous sommes bien à l’abri. Tiens voilà le couple qui était avec nous hier soir : ils nous recommandent le plat du jour. Merci, on vient de manger. Alors que nous commandons un café bien chaud, Gisèle se laisse tenter par la recommandation de la patronne pour s’attaquer à un morceau de tarte au chocolat. Voilà encore une fois qu’il ne faut pas trop se fier aux premières impressions. Le café était excellent et le morceau de tarte de Gisèle plus que copieux avec du chocolat de provenance non industrielle.
La suite nous amène à passer sous un viaduc qui nous rappelle celui du Pfaffental au Luxembourg. Alors que nous remontons la pente, les premières gouttes commencent à tomber suivies d’une petite pluie d’une heure environ. C’est la première et dernière pluie de tout notre périple. Ici encore le recours à notre équipement contre la pluie répond à des gestes de routine et prouve qu’une bonne préparation de son équipement est vraiment nécessaire, accompagnée du soin de réserver une place précise à chaque objet pour éviter des recherches inutiles par la suite.
Juste avant d’arriver sur le plateau avant de descendre sur Pradelles, nous voyons au loin sur notre droite un plan d’eau artificiel, le lac de Naussac, que nous visiterons demain sans le savoir déjà aujourd’hui. Devant nous, nous observons quelque chose de noir avec des points jaunes. A force d’avancer, je constate qu’il s’agit d’un troupeau de moutons noirs qui, à cause de la pluie, s’est rassemblé sous un arbre et les points jaunes sont leurs marques d’oreilles.
A Pradelles, nous avons réservé au gîte d’étape « Auberge de la Mère Cadenette » où Stevenson déjeunait le vingt-trois septembre mille huit cent soixante-dix-huit. A notre arrivée, le propriétaire a probablement dû noter l’œil un peu inquiet que nous avons jeté sur les bâtisses dont l’extérieur n’invite vraiment pas trop à y vouloir déposer le pied. Sur un « vous allez être surpris quand vous verrez l’intérieur », il nous montrait encore le pré pour les ânes. C’est ensuite que nous découvrons l’intérieur. Décidément il n’a pas tort – c’est très malin de cacher un vrai bijou avec une façade qui laisse plutôt penser à une habitation à laquelle on ne recourt pas en premier.
L’environnement d’antan a été conservé et l’état dans lequel tout se trouve est un rêve. Ce qui saute aux yeux, ce sont les lits fermés de l’ancienne chambre dite noire où dormaient les domestiques avec, comme seul chauffage, la chaleur des animaux qui se trouvaient dans la grande grange en dessous. Cinq montres sur la balustrade de l’étage indiquent l’heure dans différents endroit du monde. La petite cuisine rappelle bien des souvenirs tels qu’ils m’en restent du côté de la cuisine de ma grand-mère maternelle.
Comme nous étions les derniers à avoir réservé, on nous loge dans une annexe à l’arrière du bâtiment, qui appartient à une vieille dame pleine de charme et très accueillante. Dès notre installation, Nicolas essaye de nous trouver un logement pour demain. Même si plusieurs gîtes ou autres pied-à-terre se trouvent dans un rayon de vingt kilomètres, nous devons finir par accepter qu’il n’y à hélas plus de places – tout est complet. Voilà un phénomène sur lequel nous n’avions pas compté. Que cela arrive sur le Camino, on peut s’y attendre compte tenu de sa renommée, mais sur le Chemin de Stevenson ? Plus tard dans la soirée, nous apprendrons que ceux qui ont trouvé un logement partout sont ceux qui ont réservé au mois de janvier. Après avoir interrogé la patronne si on pouvait rester un jour de plus, elle nous revient avec une bonne nouvelle à condition qu’on reste dans le logement dans lequel on se trouve actuellement. Ce sera donc un jour de repos un peu prématuré, mais on ne peut rien faire d’autre. C’est également elle qui nous apprend que les randonneurs passent par vague et qu’on se trouve au début d’une nouvelle vague qui vient de partir en ce début de semaine. Ceci nous amène à prendre les devants, de sauter une étape et arriver avant les autres en jouant ainsi un petit tour à tous ceux qui n’ont pas pris soin de réserver à l’avance chaque étape- comme nous quoi. Et ça marche. Ainsi nous décrochons une des dernières places disponibles après-demain à La- Bastide-Puylaurent.
Alors que Christiane et Gisèle se reposent, Nicolas et moi faisons un petit tour dans Pradelles, qui a forcément dû connaître de meilleurs jours. Nous découvrons certains commerces et l’office du tourisme. Devant la porte se trouve, un banc où des personnes prennent place pour un court instant pour la céder ensuite à d’autres qui se trouvent à proximité. Nous finirons par comprendre qu’il s’agit d’un des seuls points d’accès à un réseau Wifi gratuit. J’avais demandé dans d’autres endroits s’il y avait un réseau et on m’a répondu positivement mais qu’on ne donnerait plus le code étant donné que la dernière fois qu’on l’avait fait, plus rien ne marchait par la suite. « Il y a quelqu’un qui nous a tout foutu en l’air ». Face à une telle réponse, le seul moyen était de montrer de la compréhension pour l’attitude du commerçant. Il y a des moments dans la vie où il vaut se taire que de commencer une discussion inutile, condamnée à ne mener nulle part. Nous sommes entrés dans un bistrot et avons savouré une bière bien méritée et échangé sur des sujets que seules deux personnes qui se connaissent très bien, avec le respect de l’un pour l’autre, ne peuvent le faire.
Chez la mère Cadenette, le repas était prévu pour dix-neuf heures trente avec, au préalable, un apéro offert par la maison. « Hey how are you ? » Voilà les Américains et encore un autre couple qu’on a déjà croisés. C’est ainsi que nous avons savouré quelques heures ensemble dans une atmosphère que savent partager les personnes qui ont la même passion – que ce soit la marche pour nous ou un autre passe-temps pour d’autres.