Samedi, 31.5.14, Luc – La Bastide Puylaurent 20 KM
Après notre jour de repos prématuré, nous sommes allés à Luc pour continuer notre périple. Avec l’autorisation de la laiterie sur la D906, nous stationnons le van sur leur terrain pour venir le récupérer en fin de journée. Dans le petit magasin de la laiterie, nous faisons le plein de fromage pour la journée et attaquons de suite la marche du jour, étant donné qu’il fait relativement froid ce matin. Ici le chemin longe partiellement la D906 le long de la vallée de l’Allier, ce qui est faisable mais non sans danger car certains automobilistes coupent les virages à volonté. Par endroit, nous jouissons d’une belle vue sur la statue de la Vierge Marie qui se trouve sur une tour restaurée, à côté des vestiges de l’ancien château datant du XIIe siècle.
A hauteur de Pranlac, nous quittons la D906 pour bifurquer sur la D76. Inutile de préciser que cette petite rue est mieux adaptée à notre besoin, même si nous n’avons pas encore atteint un chemin rural. Avant d’arriver à Pranlac, nous traversons une voie ferrée avec un panneau sur lequel est attaché un téléphone, qui n’a heureusement pas fait l’objet d’un acte de vandalisme tel qu’on le rencontre ailleurs. Il est écrit : « Pour appeler, levez le bras du poste AVANT de tourner la manivelle. » Henry et Titus n’ont aucun problème pour passer cette voie ferrée de la ligne de Saint-Germain-des-Fossés à Nimes.
Pranlac se trouve à proximité des Hubacs connus dans la mesure où l’on y a trouvé la première victime de la Bête du Gévaudan le trente juin mille sept cent soixante-quatre. En fonction des sources, la Bête du Gévaudan doit son nom à l’ancien pays Guévaudan, actuel département de la Lozèrre. C’était un loup ou un grand chien ou encore un croisement entre les deux, qui devint non contrôlable par la suite pour avoir tué plus d’une centaine de personnes jusqu’à ce qu’il fut tué le dix-neuf juin mille sept soixante-sept.
Pranlac et Laveyrune où nous passons par la suite sont deux villages qui ont connu un passé plus glorieux que ce qu’on peut y voir aujourd’hui. Il s’agit d’un des endroits où on a des difficultés de s’imaginer y habiter, ceci d’autant plus à voir l’état des « Colonie Sainte-Barbe » à Pranlac et la « Colonie l’Espoir ». C’est triste de rencontrer des bâtiments pareils laissés pour compte et j’ai de la peine à imaginer qu’on y puisse loger des jeunes. Comme ancien scout, j’ai séjourné dans pas mal de colonies. Même si des jeunes pouvaient éventuellement y trouver du positif, le jour de la visite des parents, je crains que la majorité d’entre eux ramèneraient lors progénitures à la maison.
Juste avant d’arriver à Regleton, le soleil fait son apparition. Au lieu d’aller tout droit sur La-Bastide-Puylaurent, nous décidons de prendre à gauche et de passer par Notre-Dame- des-Neiges. La petite descente pour rejoindre le chemin qui mène à Notre-Dame-des- Neiges est le seul passage que nous rencontrons en cours de route avec un terrain mouillé et marécageux. Mais c’est un plaisir pour un meneur d’âne de tester la confiance que l’animal a en vous sur une surface glissante. Merci Henry de ne pas m’avoir déçu – t’es vraiment un bon copain.
Juste au début de la montée dans un enclos nous passons près d’un âne, qui a braie tellement qu’on ne sait dire s’il est content de voir des confrères ou bien par rage de se trouver de l’autre côté du fil. En tout cas, il nous accompagne sur toute la longueur du pré en faisant des va-et-vient sans cesse.
Le chemin forestier qui mène au sommet ressemble à ce qu’on trouve en Forêt-Noire et vous prend à l’usure. Derrière chaque tournant, vous avez devant vous plus ou moins deux cents mètres de chemin et ceci sur quatre kilomètres – vous voyez le nombre de tournants après lesquels vous espérez arriver enfin. Comme d’habitude, Nicolas et moi avançons au rythme des ânes et constatons que Christiane et Gisèle tiennent bien la cadence sauf qu’une fois arrivées à notre hauteur, nous avons sans le vouloir tendance à reprendre la route aussitôt. Vous comprendrez que ce petit jeu fonctionne une fois mais pas à plusieurs reprises. Les ânes le savent mieux, ils ne se cognent qu’une seule fois. Comme Nicolas et moi ne maîtrisons visiblement pas cette particularité asine, vous imaginez la suite - le shampoing, bien entendu.
Comme nous n’avons pas trouvé l’endroit de repos indiqué sur notre carte, nous avons continué à marcher jusqu’à Notre-Dame-des-Neiges. Nous y arrivons vers treize heures trente et décidons d’y manger. Afin de garder une permanence près des ânes et surtout de Browny, nous décidons de visiter la chapelle à tour de rôle.
Notre-Dames-des-Neiges accueille des moines cisterciens-trappistes qui commencent leur journée le matin à quatre heures trente avec les vigiles pour la terminer en soirée à vingt heures trente avec les complies. Si l’abbaye est aujourd’hui ouverte aux retraites en silence, elle a accueilli au fil du temps Stevenson le vingt-six septembre mille huit cent soixante-huit et Charles de Foucauld qui y prit l’habit le seize janvier mille huit cent quatre vingt-dix. Plus récemment Robert Schuman s’y réfugia pendant la deuxième guerre mondiale.
J’aurais bien aimé passer la nuit dans ce lieu tranquille, renseigné gîte d’étape dans le guide. Mais au moment où nous avons tenté de nous renseigner sur des places disponibles, le répondeur du téléphone tournait – tout le temps. Comme nous ne voulions pas courir le risque de nous trouver devant un refuge plein, nous avions trouvé de quoi dormir à La-Bastide-Puylaurent, notre destination d’aujourd’hui.
Avant de quitter les lieux, nous descendons encore vers la boutique où nous rencontrons certains randonneurs que nous connaissons maintenant depuis quelques jours. Dans un pré en face, les ânes de l’abbaye sont bien nourris, même trop bien. La sortie de l’abbaye longe une petite chapelle et le jardin à partir duquel on a une vue sur l’ancienne partie de l’abbaye, qui n’avait pas brûlé dans la nuit du vingt-sept au vingt-huit janvier mille neuf cent douze. Cette partie me rappelle drôlement les bâtisses du Convict épiscopal à Luxembourg, où j’ai passé toutes mes études de lycée – sept années durant sans pour autant être soumis à un régime de cisterciens-trappistes.
Le temps est devenu très lourd mais il ne pleut pas. Par cette chaleur, nous entamons la descente vers La-Bastide-Puylaurent en empruntant en partie la D4 puis le D906 pour arriver vers seize heures trente à l’hôtel de la Grande Halte. Nous avons réservé une chambre pour quatre personnes, l’hôtel affiche complet. Sur la terrasse, nous retrouvons des randonneurs que nous connaissons, entretemps mélangés avec des personnes qui font le pont de l’Ascension. L’accueil est très chaleureux et dans le pré, où peuvent séjourner les ânes, la patronne prend soin d’enlever le linge qui est en train de sécher – je n’ai pas osé demander plus de renseignements, mais il s’il s’agit probablement d’un enfant brûlé. Comme l’herbe y est plutôt maigre, le patron à pris soin d’organiser du foin et des grains à volonté y compris deux seaux avec de l’eau – un rêve pour nos amis aux longues oreilles.
Même si nous avons marché toute la journée, on est certes un peu fatigué mais personne ne se sent surmené ce qui est un bon signe. Pour le repas, Gisèle prend d’ores et déjà soin d’avertir le cuisinier qu’elle ne mange pas d’ail – un homme averti en vaut deux.
La-Bastide-Puylaurent est très particulier dans la mesure où une partie du village se situe dans la Lozère alors que l’autre fait partie du département de l’Ardèche. Le village dispose d’une excellente structure commerciale depuis le boulanger, le boucher, le restaurant, l’hôtel, le gîte d’étape, la pharmacie, et j’en passe, jusqu’aux établissements publics avec la mairie et l’office du tourisme. N’oublions pas la gare SNCF qui a largement contribué au développement local. Avec tout ce dynamisme, on a peine à croire que d’après un des derniers comptages de la population publié on n’y trouve que cent soixante-quinze habitants.
A notre arrivée, nous avions remarqué un couple d’Allemands originaires de Dresde. Ce qui m’avait impressionné en les voyant fouiller dans le coffre de leur tout-terrain était leur équipement volumineux. Sans le savoir, il s’est avéré qu’ils partiront de La-Bastide-Puylaurent avec un âne qu’ils ont loué, et qu’on leur amène plus tard dans la soirée sans cependant jamais avoir pérégriné avec un âne. En principe, il n’y a pas de problèmes pour le faire sur un tel chemin étant donné que les ânes qu’on peut louer ici connaissent le chemin par cœur, encore faut-il pouvoir suivre leur rythme. Nous avons proposé de les accompagner demain matin et si nécessaire leur donner quelques conseils qu’ils sont libres d’accepter. Il s’avérera que ce sera très pratique parce que l’instruction du livreur de l’âne a été plutôt rapide pour un non initié.