Lundi, 2.6.14, Chasseradès - Saint-Jean-Le-Bleymard 21 km
Vers huit-heures trente, nous quittons l’hôtel en direction de Saint-Jean-Le-Bleymard et prenons congé de Bil et des randonneurs allemand qui ne veulent pas aller aussi loin que nous. Le soleil est déjà au rendez-vous et ça risque de devenir une journée chaude. L’épicerie est ouverte, ce qui nous permet de faire quelques provisions. Nous ne faisons cependant pas long feu puisqu’il fait encore froid, avec un vent non négligeable qui vous prend à l’usure si on ne bouge pas.
Avant d’arriver à Mirandol avec son pont ferroviaire qui rappelle exactement une construction au Luxembourg du même genre, nous apercevons quelques autres constructions le long de la ligne ferroviaire qui ont l’air d’un tunnel. Contrairement à un tunnel qui d’habitude est taillé dans une falaise ou sous terre, ceux que nous voyons sont construits hors terre. Leur utilité est en effet d’empêcher la neige de couvrir la voie et de rendre certains passages non utilisables. La ligne de chemin de fer est celle qui rallie La Bastide à Mende.
A la sortie de Chasseradès, la configuration du terrain laisse pressentir que le trajet d’aujourd’hui sera plus que dénivelé. Sur le kilomètre qui sépare Chasseradès de Mirandol, la descente est très spectaculaire. Juste avant d’atteindre les fondations du pont, nous voyons à notre droite le gîte où nous nous serions dirigés hier si nous n’avions pas pris un rafraichissement à « l`Hôtel des Sources ». Notre chemin longe la rivière Chassezac et, près d’un des piliers, se trouve une stèle en mémoire des ouvriers qui ont trouvé la mort lors de la construction du pont. Je trouve ce geste très honorable et le mesure plus approprié que celui qu’on trouve parfois en mémoire de tel ou tel politicien, qui a eu l’idée de faire construire l’édifice avec comme arrière-pensée de servir son électorat.
Nous traversons Mirandol et prenons à droite en direction d’Estampe. Nous croisons le chemin d’un groupe de randonneurs dont la moyenne d’âge semble être bien au-delà de la nôtre, qui est de soixante ans. Mais bien sûr, vous pouvez poser avec les ânes pour des photos souvenirs – merci et bonne continuation. Comme ils nous ont annoncé vouloir faire le même chemin que nous aujourd’hui, on ne peut tirer que notre chapeau devant l’effort à fournir.
C’est justement cet effort qu’il vous faut si vous quittez Estampe pour passer partiellement sur la D120 et rentrer au-dessus de Daufage à droite dans la forêt et monter la Moure de le Fontaine. Cette montée très raide se présente comme une cuve où chaque pluie contribue à arrondir ses bords de plus et plus. Heureusement il ne pleut pas – si non on aurait galéré. Derrière un tournant nous retrouvons un couple de Français que nous connaissons déjà et qui vient de terminer une petite pause pour continuer sa route. Sur le premier plateau juste avant de retomber sur la D120, le groupe est de nouveau rassemblé.
En attendant Gisèle et Christiane dont l’arrivée est chaque fois annoncée par Browny, je me pose la première fois une question sensible. A quels problèmes serait-on confronté s’il arrivait quoi que ce soit à un de nous, un de nos animaux ou à un autre randonneur que nous croisons sur notre route. Dans nos sacoches nous avons bien entendu une trousse de premier secours, nous connaissons également les gestes primaires pour venir en aide. Cette idée m’est venue en tête à la suite d’une discussion que j’avais eue avec un commerçant local. Il m’avait confié qu’il n’y avait qu’un seul médecin dans les alentours de cent kilomètres. Compte tenu de la configuration des terrains, on pourrait également difficilement s’imaginer que les pompiers pourraient être vite sur place pour peu qu’une desserte locale existe. Au cas où, nous avons nos portables sur nous et mon GPS permettrait de communiquer nos coordonnées exactes. C’est quand même bizarre comment certaines questions émergent alors qu’il n’y a aucun autre signe qui mériterait qu’on se les pose.
La veille, Nicolas avait identifié sur la carte un chemin sur lequel on devrait bientôt tomber et qui nous amènerait plus vite au Bleymard – un raccourci quoi. Nous en discutons en cours de route mais décidons de laisser à Gisèle et à Christiane le choix de décider si on prend le raccourci ou si on opte plutôt pour la version longue. Quand nous arrivons au Goulet à hauteur dudit croisement à une altitude de mille quatre cent vingt mètres, nous entendons des voix et découvrons soudainement un attroupement de randonneurs que nous connaissons maintenant tous qui font une pause. Nous nous joignons à eux pour en faire autant et faisons plus ample connaissance avec certains d’entre eux qui viennent de la Bretagne. Cette pause est également la bienvenue pour Henry et Titus qui font le plein avec de l’herbe alors que nous mangeons des fruits frais et séchés.
La décision est prise, ce sera la version longue. Pour commencer, le chemin nous fait descendre de l’autre côté tout ce que nous venons de grimper auparavant. Malgré le soleil qui chauffe pas mal entretemps, la protection de la forêt dans laquelle nous nous trouvons est idéale. Directement derrière une bifurcation à droite, nous tombons sur des vestiges de plusieurs bâtiments dont la surface au sol laisse présumer des constructions importantes dans le temps. Je n’ai pas pu trouver de quoi il s’agissait.
Si jusqu’ici nous étions dans une forêt avec des sapins très vieux et droits comme une allumette, la configuration est en train de changer. Peu à peu, les hêtres prennent la place de sapins et le long du chemin, on découvre plein de plantes de myrtilles.
Comme les ânes marchent à merveille, nous continuons notre route et décidons de ne pas aller voir les sources du Lot. Un panneau nous indique qu’on les trouve à quelques centaines de mètres. La suite du chemin devient plus qu’étroit entre, d’un côté, le terrain qui monte et, de l’autre côté, du fil barbelé le long d’un pré. Au milieu un petit chemin et c’est lui qu’il faut prendre. Quelques deux kilomètres plus loin, nous sommes une fois de plus très fiers de la prouesse de nos ânes – pas une seule égratignure sur nos sacoches à cause du fil barbelé.
Au plus bas de la descente, le GR70, passe par le Lot qui, depuis sa source, a déjà une certaine envergure. Comme il n’a pas plu ces derniers jours, l’eau n’a qu’une profondeur de quelques quinze centimètres et les ânes passent, comme si de rien n’était, l’eau sur une largueur de quelques six mètres. Ce passage me rappelle une rivière sur le Camino où il était marqué dans le guide qu’on pouvait facilement y passer. Sauf le jour où nous y étions : il avait plu pendant quelques jours et le petit ruisseau avait gonflé de plus d’un mètre, ce qui nous a valu une déviation non programmée.
L’endroit se prête bien pour faire la pause midi et c’est également la première fois que nous nous sommes laissé aller pour un petit somme, étant donné que les lieux s’y sont bien prêtés. Comme il y avait toujours un petit écart entre Nicolas et moi avec les ânes d’un côté et Gisèle et Christiane de l’autre, et compte tenu du fait que nous avions constaté que le relais pour les portables n’était pas partout assuré, nous avons discuté de l’avantage d’acquérir des walkitalki qui permettent toujours un contact entre les premiers et les derniers d’un groupe. Ceci est fait aujourd’hui.
Quand nous arrivons à Les-Alpiers, nous découvrons au loin le Mont-Lozère qui est au programme demain. J’aurais bien aimé passer la nuit dans ce village tranquille avec ses gîtes, qui malheureusement étaient fully booked.
La descente sur Le-Bleymard est de nouveau un peu plus délicate et le chemin aboutit sur la D901 qui est très fréquentée. A l’entrée de Le-Bleymard, je suis un peu surpris de trouver une station d’essence d’une certaine taille, un supermarché, un gîte et plusieurs hôtels. Comme nous avons réservé à Saint-Jean-Le-Bleymard, il nous faudra encore rajouter un kilomètre avant notre arrivée à La Combette où nous accueillent Dominique et Noël. Je ne peux que recommander cette maison, de un par la chaleur humaine des exploitants, de deux par l’architecte de la maison et de trois pour la bonne cuisine. A vrai dire, il s’agit du meilleur gîte dans lequel nous sommes descendus et le rapport qualité prix est justifié. Noël nous apprendra que Le-Bleymard si situe au pied du Mont-Lorzère et profite à la fois des touristes en été et des vacanciers qui viennent faire du sport d’hiver.
Henry et Titus sont de nouveau très bien servis dans un pré avec plein d’herbe, du foin et de l’eau. En cours de route Henry et Titus sont devenus de bons amis et il est difficile de les séparer, ce qui nous arrange bien pour avancer.
Avant de passer à table, nous décidons de visiter encore Le-Bleymard pour refaire le plein de provisions et savourer une bonne bière. A notre retour, nous découvrons devant la porte du gîte un tricycle ou trike avec lequel un couple fait une randonnée à sa manière. Lors du repas nous faisons plus amplement connaissance et, si la femme n’avait pas une fois dit trois mots, j’aurais cru qu’elle était muette. Son mari par contre parlait tout le temps, il s’avait tout, il a tout vu et vécu et le repas n’était que du bonheur. A en juger sa taille, il vit dans le bonheur depuis de belles lurettes. J’ai des difficultés à supporter une telle attitude longtemps, mais demain ce sera un nouveau jour.