Mardi, 3.6.14, St-Jean-Le-Bleymard – Le Pont Montvert,24 km
Nous prenons notre petit déjeuner dans la Combette vers sept heures quarante-cinq, afin de nous permettre de partir dans une demi-heure. La table du petit déjeuner est un délice, rien qu’à la voir. Nous croyons à peine nos yeux, un assortiment de vingt et une confitures différentes, toutes faites maison. Ce qui était prévisible, monsieur sait tout d’hier soir n’est pas encore levé, raison de plus pour savourer en douceur. Après avoir pris congé, nous nous dirigeons vers le supermarché pour prendre du pain frais et c’est parti.
L’étape d’aujourd’hui sera la plus longue, la plus dure mais avant tout la plus belle. Elle nous amènera de la vallée, quand même située à neuf cent cinquante mètres vers le Mont-Lozère à mille sept cent mètres pour finir à au Pont-Montvert.
Comme d’usage, nous rencontrons quelques autres randonneurs qui préfèrent également prendre la route de bonne heure. A la sortie de Bleymard, nous empruntons sur quelques centaines de mètres la D20, passons près d’une école et prenons directement à gauche. A partir d’ici, le chemin ne fait que monter sur neuf kilomètres. Après une petite confusion avec l’affichage qui indique ici deux possibilités, nous décidons de prendre celle qui est la plus raide et arrivons sur un petit plateau qui ouvre la vue sur une série de serpentines. Comme le soleil frappe déjà fort à cette heure matinale, il est bon de savoir que la carte renseigne à partir du Col Santel du bois que nous devons traverser sous peu.
Nous avons déjà été à mille quatre cent mètres et j’ai été surpris par la cadence à laquelle les ânes ont monté ou devrais-je dire avec les plaisir qu’ils ont trouvés à cette hauteur. Aujourd’hui encore, même si nous se sommes qu’à onze cents mètres à l’entrée de la forêt, Henry et Titus mènent la danse. Nicolas est d’accord pour reconnaître que, sans notre entraînement régulier, nous aurions probablement des difficultés pour suivre le rythme, surtout qu’on monte tout le temps. Chaque fois que nous rencontrons un endroit avec un peu d’herbe, nous nous arrêtons à la fois pour laisser nos meneurs refaire le plein de carburant, pour nous de boire et Gisèle et Christiane de nous rejoindre de nouveau. Browny de son côté n’a plus changé de tactique : il avance jusqu’à un certain point, à partir duquel il a une bonne vue et attend que madame arrive. Christiane quant à elle me surprend de plus en plus – partie avec un problème de visibilité réduite, elle avance à son rythme mais ne fait pas mine de rencontrer trop de difficultés même dans les endroits les plus difficiles.
A un certain moment, je consulte mon GPS pour me renseigner un peu sur l’altitude à laquelle nous nous trouvons – mille cinq cent dix. Nous avançons toujours à la même cadence et ça monte toujours mais avant tout, personne ne fait signe de fatigue. La végétation commence tout doucement à changer et les arbres cèdent la place à des arbustes. Tout d’un coup, nous nous trouvons devant un genre de pré, signe que nous venons de franchir la ligne à partir de laquelle les arbres ne poussent plus. Le soleil est toujours au rendez-vous, mais un vent frais souffle de sorte que la chaleur de la vallée n’est plus au rendez-vous. Lors d’une petite pause de recharge de carburant pour les ânes, nous en profitons pour appliquer une nouvelle couche de crème solaire pour éviter des brûlures en altitude.
Quand nous arrivons à hauteur de l’hôtel « Le Refuge », je suis très agréablement surpris de ne pas trouver des bâtiments tours dans cette petite station de sport d’hiver comme, c’est trop souvent le cas dans des endroits pareils.
Sur une terrasse d’un des restaurants, nous retrouvons des copains de route que nous avons déjà croisé à plusieurs reprises et que nous rencontrerons encore ce soir dans le même hôtel dans lequel nous descendrons. Comme il est presque onze heures, nous nous joignons à eux pour prendre un café. C’est l’heure des retrouvailles et de plus en plus de randonneurs arrivent : les uns continuent la route tandis que la majorité fait une pause café. Trois hommes originaires de Munich passent avec un âne qu’ils ont loué et qui présentent quelques signes de fatigue. Quand nous reprenons la route, nous faisons connaissances d’un jeune couple de Stuttgart qui a également loué un âne auquel Henry est plus qu’intéressé.
Pour accéder au sommet du Mont-Lozère, nous devons passer la D20 et reprendre ensuite le GR70. Devant nous, une bonne vingtaine de randonneurs cèdent tous le passage à l’arrivé de Henry et de Titus, qui ont de nouveau repris leur rythme d’enfer. Malgré l’altitude, personne de notre groupe n’a de difficultés respiratoires. Pour éviter que cela ne se produise, Nicolas et moi décidons de marcher devant nos ânes et les freiner ainsi dans leur progression.
Jusqu’au sommet du Pic Finiels qu’on voit au loin, j’estime devoir monter encore pendant une heure. Même si le chemin est bien visible, on voit tout au long du parcours des balises en pierre du pays mieux connues comme « pierres de Montjoies » qui servent d’orientation. Celles qu’on voit encore aujourd’hui datent du dix-huitième siècle, lors de la remise en état du chemin de Régordane. Juste avant d’attaquer cette dernière montée dans le Parc National des Cévennes dans lequel nous venons d’entrer, des panneaux indiquent qu’il est interdit d’accéder au sommet par temps de brouillard et en cas de neige. Plus on monte, plus la température descend, ce qui nous force à revêtir une veste. Tout doucement le pic prend forme et le terrain sur lequel nous avançons est parsemé de blocs de granit de toutes tailles, ce qui témoigne d’une activité volcanique énorme d’antan. Au sommet, Nicolas profite d’une sorte d’abri monté avec des blocs de granit pour se protéger contre le vent et jeter un coup d’œil sur son pied pour y appliquer un nouveau pansement.
Depuis notre départ à Saint-Jean-Le-Bleymard, nous avons parcouru onze kilomètres en deux heures cinquante avec un dénivelé de sept cents mètres. Même si certains nuages ont fait leur apparition, la vue depuis le sommet est tout simplement fantastique. Une vue imprenable à trois cent soixante degrés. Après une séance photos pour témoigner de notre passage, les avis sont unanimes que cela valait la peine. La veille, on s’était posé la question de savoir si les ânes y arriveraient. Nos aubergistes nous avaient vivement conseillé de le faire aujourd’hui, puisqu’un changement de temps était prévu pour les prochains jours.
Sur un prospectus trouvé dans un hôtel, j’avais vu des images sur la transhumance et que, dans le temps, le Mont-Lozère accueillait jusqu’à cent mille moutons. De nos jours on compterait encore plus ou moins dix pourcents de ce nombre et toutes les drailles ne seraient plus empruntées. Le revers de cette diminution des effets de la transhumance est bien visible : le genêt prend tout doucement possession de flancs entiers.
Comme le vent souffle trop fort, nous décidons de rejoindre de nouveau la forêt pour nous mettre à l’abri avant de casser la croûte. Dans la descente, nous croisons partout des randonneurs qui ont eu la même idée que nous. Si le chemin pour monter était un plaisir, la descente risque d’être plus musclée. Il y a des blocs de granit partout sur le chemin, si on peut le qualifier ainsi, et les alentours. Ce sera la pente la plus dangereuse que j’ai jamais descendue avec Henry. Je me demande encore aujourd’hui comment Christiane a su maîtriser cette descente sans problèmes, alors qu’il faut constamment regarder devant soi pour éviter un faux pas – à force de regarder trop longtemps au même endroit, on risque d’être pris par le vertige.
On voit Finiels au loin. Pour y arriver, nous mettrons encore pas mal de temps puisque la deuxième descente avec plein de blocs de granit est juste devant nous. A l’entrée de Finiels, nous croisons un groupe de jeunes accompagnés par une dame d’un certain âge, qui nous propose spontanément de donner à boire aux ânes et de prendre un café dans son gîte d’étape. Nous acceptons volontiers, le temps de se reposer un peu et aux ânes de brouter dans le pré.
Juste après avoir repris le GR70, nous découvrons des tombes dans un jardin derrière une maison, des anciennes et des récentes. Plus tard, je découvre un panneau à Pont-Monvert sur lequel je peux lire : « … jusqu’à cette époque (XIXe siècle), les cimetières catholiques étaient interdits aux protestants, contraints d’installer leurs sépultures à proximité de leurs maisons. Cette coutume se perpétue aujourd’hui encore dans les hameaux. »
Nous voyons Pont-Montvert au loin, tout petit, soit encore plus ou moins deux heures de marche. Dans cette partie entre Finiels et Pont-Montvert, il est impossible de s’adonner à des activités agricoles – les terrains sont parsemés de blocs de granit les uns plus gros que les autres – du jamais vu. On dirait un mélange de pré, de désert et de lune – difficile à décrire, il faut le voir.
Quand nous entrons dans Pont-Montvert, Nicolas et moi nous nous arrêtons à hauteur de la première maison lorsqu’on quitte le GR70 et attendons comme d’usage l’arrivée de Browny, qui annonce l’arrivée soudaine de Gisèle et de Christiane. Cette attente est longue, même très longue et les ânes qui se trouvent dans un endroit où ils n’ont rien à brouter commencent à s’embêter et nous le font savoir. Après une demi-heure, alors que Nicolas s’apprête à aller à leur encontre, Browny fait son apparition suivi de mesdames qui nous envoient immédiatement une tirade de compliments. La dernière fois qu’on avait vu Gisèle et Christiane derrière nous, c’était à environ un kilomètre de l’endroit où on se trouve maintenant. Après examen de la situation il s’avère que Gisèle et Christiane avaient pris tout droit près d’un tas de fumier en amont ou le signe du GR70 renseigne qu’il faut aller à gauche. Elles ont dû rebrousser chemin au moment où elles découvraient qu’elles s’écartaient de nouveau du village au lieu d’y entrer. Nicolas et moi avons également parlé en cours de route, mais notre discussion n’a probablement pas été aussi profonde pour ne plus faire attention aux signes directeurs, mais comme on avait déjà l’habitude on a encaissé ce coup.
Le Pont-Monvert, dont les habitants s’appellent les Pontvertipontains, a une riche et belliqueuse histoire. C’est à partir d’ici que commença la guerre des camisards (ou encore guerre des Cévennes), le vingt-quatre juillet mille sept cent-deux. Alors que Louis XIV avait interdit le protestantisme et que ses pratiquants ont été convertis de force au catholicisme, Pont-Montvert est devenu dans la suite un des hauts lieux d’une rébellion à cause notamment des pratiques de l'abbé François de Langlage du Chayla, en son temps gouverneur des Cévennes. C’est à cette date de mille sept cent deux, alors que les protestants voulaient libérer les leurs qu’un d’entre eux a été tué. Les querelles s’ensuivaient. L’abbé fut tué et la guerre commença.
Pour accéder à l’Auberge des Cévennes, nous passons près de la maison où habitait jadis l’abbé de Langlage, puis par le pont au-dessus du Tarn avec la Tour qui donne à Pont-Montvert sa silhouette de village ancestral. Stevenson a pris le repas dans l’Auberge des Cévennes qui ne semble avoir rien perdu de son charme d’antan. Nous dormons dans une chambre qui peut accueillir six personnes, les WC et les douches sont communs et se trouvent au rez-de-chaussée. Donc rien d’extraordinaire pour un randonneur, mais peut-être surprenant pour celui qui arrive en voiture et cherche le même confort que chez soi.
Henry et Titus sont conduits dans un enclos avec des portières qui ferment automatiquement à l’aide d’un ressort, puisque le GR70 y passe. En fin de journée, les amis aux longues oreilles seront au nombre de sept et ils se baladent entre les blocs de granit et l’herbe et y trouvent leur plaisir.
La salle à manger de l’auberge est remplie jusqu’à la dernière place et nous connaissons la moitié de ceux qui y séjournent. Avant de prendre le repas, Nicolas tente sa chance pour trouver un endroit pour dormir pour les trois dernières étapes. Nous avons fait cent soixante-dix kilomètres mais malheureusement le Dieu des aubergistes ne veut plus de nous – impossible de trouver un logement dans les environs – tout est complet. Face à cette évidence, même si on avait fait un jour de repos sur place, nous décidons de finir notre randonnée ici et d’aller en voiture jusqu’à Saint-Jean-du-Gars où nous passerons encore une nuit avant de rentrer.
Même si l’étape d’aujourd’hui a été longue et un peu compliquée, les avis sont unanimes pour reconnaître qu’on se serait fait des reproches si on n’était pas monté au Mont-Lozère.
Un grand merci à Nicolas d’avoir eu l’idée de faire cette randonnée ainsi qu’à Gisèle et Christiane qui nous ont accompagnés. Au départ, on n’était pas sûr que notre randonnée puisse aboutir, que nous pourrions vivre ensemble, pendant la journée, dans les différentes auberges, chacun avec sa manière de voir les choses et ses forces et faiblesses. A l’issue de la randonnée nous savons que c’est possible si on y croit et que chacun y met du sien. Sur base de ce constat, nous avons décidé de répéter l’expérience avec une autre randonnée.
Je ne voudrais quand même pas conclure sans remercier mon compagnon fidèle Henry, qui une fois de plus a été à mon côté et m’a procuré des sensations fortes. Nous fonctionnons bien en tandem et que l’aventure puisse continuer !