Les petits producteurs et les grands acteurs

Tandis que les riches sont responsables du réchauffement climatique, ce sont surtout les pauvres qui en souffrent.
Paris, 2 décembre 2015 - 195 colonnes parées des 195 drapeaux des pays présents à la Cop 21 accueillent les participants sous un joli ciel bleu et un beau soleil matinal. Heureusement, une petite brise froide nous rappelle que nous sommes au mois de décembre. Entre les différents halls, des sculptures d'animaux sont exposés et apportent une touche colorée à l'allée centrale. Il s'agit de cent quarante sculptures en matériaux recyclables représentant la diversité des espèces animales.
«Dans l'arche de Noé biblique, c'est au déluge que les hommes et les animaux de ces temps impériaux sont confrontés ; avec "Arche de Noé Climat", c'est au réchauffement climatique que notre bestiaire appelle à résister», appuie Gad Weil, l'artiste créateur de ce projet.
Au fond de l'allée, une reproduction de la Tour Eiffel nous rappelle que nous sommes bien à Paris. Au niveau de la restauration, les organisateurs ont tout prévu et la cuisine française est bien à l'honneur. Café, thé, sucre du commerce équitable se retrouvent à côté de boissons issues de l'agriculture biologique. Chaque participant a reçu quelques « goodies » responsables, « made in France » et pour la plupart fabriqués en matériaux recyclables et respectant des normes environnementales. C'est un bel exemple de cohérence qui montre qu'il est possible d'organiser un grand événement et de faire appel à des produits respectant des critères éthiques et environnementaux.

Malgré ce joli décor, il ne faut pas oublier l'enjeu de ce sommet international. Il est encore trop tôt pour connaître les conclusions de la COP 21. Un accord sera certainement conclu mais à l'heure actuelle, encore beaucoup de points restent à clarifier. Est-ce que cet accord sera, comme le demande certains pays, par exemple le Guatemala, au nom de l'Alliance indépendante de l'Amérique latine et des Caraïbes, un accord juridiquement contraignant, équitable et ambitieux ? Est-ce que l'objectif de maintenir le réchauffement de la planète sous le seuil de 2°C voir de 1.5° C, comme souhaité par quelques pays dont l'Angola sera atteint ? Quel mode de financement sera adopté pour lutter contre le changement climatique ?
Selon Oxfam France, présent à la COP 21, « les pays riches devront montrer qu'ils sont en bonne voie d'honorer leur engagement existant de mobiliser collectivement 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 pour financer la lutte contre le changement climatique dans les pays pauvres ». Car oui, ce sont bel et bien les populations les plus vulnérables qui sont et seront davantage touchés par les effets du réchauffement climatique. 3,5 milliards d'hommes et de femmes les plus pauvres à travers le monde ont le plus à perdre lors de cette conférence sur le climat. Parmi eux des millions de petits producteurs d'Afrique, d'Amérique Latine et d'Asie.
Lors de cette première semaine à Paris, une journée leur a été consacrée : « Farmers Day ». Cela a été l'occasion d'entendre la voix de plusieurs producteurs dont deux représentants de coopératives Fairtrade : Luis Martinez Villanueva de la coopérative de café UCIRI du Mexique et Victor Biwot, manager opérationnel dans la coopérative de thé SIREET Tea Outgrowers du Kenya. Qu'ils viennent d'Afrique ou d'Amérique Latine, les témoignages sont les mêmes : le changement climatique est devenu leur défi numéro 1 car il menace leur agriculture, leur sécurité alimentaire et leurs moyens de subsistance. C'est le pire ennemi de la lutte contre la faim.
Dans sa présentation, Victor Biwot explique que le Kenya fait partie des 20 pays les plus affectés dans le monde par le changement climatique et des études montrent que dans les prochaines années, les terres agricoles adaptées à la culture du thé au Kenya vont être réduites de 40 % à cause du réchauffement. En 2015, il n'a pas plu entre janvier et avril alors que c'est une période où les théiers sont habitués à recevoir une bonne quantité d'eau. D'autre part, les producteurs ont été confrontés à des situations extrêmes comme des périodes de gel, des longues périodes de sécheresse, de fortes vagues de chaleur extrême, des pluies de grêles très violentes qui ont dégradé les feuilles de thé. Mauvais rendements, développement de maladies, qualité remise en question sont des réalités vécues par les petits producteurs de thé kenyans qui voient leur revenu diminuer.
Au Mexique, la situation est similaire : les périodes de pluie sont décalées. « Il pleut quand il ne doit pas pleuvoir et il ne pleut pas quand les caféiers ont besoin d'eau » explique Luis Martinez Villanueva.
Les petits producteurs n'ont pas attendu les décisions des acteurs clé des négociations sur le climat pour mettre en place des mesures afin d'accompagner les membres de leur coopérative.
Luis Martinez Villanueva encourage les producteurs mexicains à diversifier leurs cultures et surtout à jardiner pour eux-mêmes afin de ne pas être dépendants d'une offre de produits parfois très limitée et très chère. La CLAC, fédération des petits producteurs d'Amérique Latine et Centrale, membre du mouvement de Fairtrade International, offre des formations aux producteurs pour leur apprendre des techniques pour protéger les sols, gérer l'eau, et des méthodes qui permettent aussi de réduire leur émissions de CO2.
L'agro-écologie et l'agroforesterie sont également des solutions pour permettre aux petits producteurs de lutter contre le changement climatique. Dans sa coopérative certifiée Fairtrade, Victor Bewot explique que 150 000 arbres ont été plantés ces derniers mois. Ceux-ci offriront dans quelques années de l'ombre aux arbustes de thé et une protection contre le gel et la grêle. La coopérative a également investit dans l'achat de cuisinières à faible consommation d'énergie et offrent des formations aux femmes grâce à la prime du commerce équitable, sur des méthodes de cuissons destinées à limiter la déforestation.

Deux productrices du Pérou et du Guatemala du réseau « Via Campesina », témoignant avec cœur, dénoncent le système financier actuel qui ne s'adresse pas aux petits producteurs mais à des multinationales et à des grands groupes financiers. Un système financier qui soutient encore la vision du 20ème siècle qui était alors de maximiser la productivité. « C'est une erreur de poursuivre une politique du 20ème siècle » s'exclame la productrice du Guatemala. Aujourd'hui, le principe de l'agro-écologie est reconnu par beaucoup d'experts comme porteur de solutions vis à vis du changement climatique et c'est cette approche qui devra être protégée et légitimée, puisqu'elle répond aux grands défis du 21ème siècle : Assurer la nourriture pour chacun, assurer des revenus équitables pour les petits producteurs et enfin assurer une agriculture durable qui pense aux générations futures. Quelques jours avant la COP 21, Vandana Shiva avait envoyé un message dans ce sens aux négociateurs : « Making peace with the earth ». Dans ces propos, elle dénonçait également cette agriculture industrielle qui a donné 40% des gaz à effet de serre entrainant le changement climatique et a conduit à la destruction des sols et au déracinement des populations.
Toutes ces voix du Sud prônent une agriculture de paix. « Une agriculture non-violente peut reconstruire la capacité de se régénérer de la terre, fournir 100% de réponse pour se débarrasser des émissions de gaz y compris des stocks de dioxyde carbone dans l'atmosphère, et le plus important c'est que cette agriculture de soin permet à chaque producteur de trouver un sens à son travail » clamait Vandana Shiva dans son message.
Il faut donc espérer que ce petit vent frais soufflant à travers le site du Bourget portera ces voix du Sud jusque dans les salles des négociations. Ces témoignages des plus vulnérables devront continuer à résonner aux oreilles des responsables tout au long des pourparlers afin qu'ils signent un accord contraignant et équitable pour l'avenir de notre belle planète et de l'humanité.
* Récit de Geneviève Krol, directrice de Fairtrade Lëtzebuerg.