Nous aidons tout le monde… sauf ceux qui ne font pas partie du « tout le monde ». Ce ne sont peut-être pas les termes exacts mais je pense que la plupart des personnes dans cette situation, qui n’est autre chose qu’une exclusion très peu justifiée de tout un pan de la population, ne me contrediront guère.

Il semblerait que parmi ces exclus on trouve une population de professionnels, somme toute hautement qualifiés, qui trouvent leur utilité remise en question ; non seulement leur utilité, mais également la reconnaissance de leur profession, qui clairement n’a jamais été considérée comme une priorité par nos gouvernements successifs.

Peut-être vous demanderez-vous quels sont ces exclus et je ne saurai que vous donner une réponse très partielle en parlant de cette vocation qu’est la mienne, tout en ne doutant nullement du fait qu’il y a d’autres catégories de personnes qui se retrouvent dans la même situation que les psychologues.

Tandis que je conçois bien qu’au début de cette crise sanitaire, et des mesures mises en place pour contenir la progression du fameux virus qui a, du jour au lendemain, bouleversé notre quotidien, la priorité consistait surtout à assurer un suivi médical et paramédical de première urgence, il ne semble non moins pertinent de réfléchir à l’après.

Et que cela plaise ou non à certains, de nombreuses études (Lee et al, 2018 ; Brooks et al., 2020) montrent que les épidémies et les situations de quarantaine ont un impact psychologique significatif tant sur les patients que sur le personnel médical et paramédical. Il est dans ce cadre peu utile d’entrer dans les détails, mais je me permets tout de même d’évoquer que dans de telles situations un certain nombre de personnes vont souffrir de stress post-traumatique. En outre, un pourcentage non-négligeable de ceux actuellement confrontés à l’épidémie, c’est-à-dire toute la population, qu’ils se retrouvent confinés ou au contraire qu’ils soient obligés de s’exposer à un risque réel ou perçu de contamination en subiront des conséquences psychiques.

Ne serait-il dès lors pas utile d’octroyer aux psychologues (qui contrairement aux psychothérapeutes ne sont pas reconnus comme profession de santé), qui ont tout de même un solide bagage académique, assorti pour la plupart d’une bonne expérience pratique, que ce soit par des stages ou par des années d’exercice professionnel, la reconnaissance qui leur est due ? Est-ce que ceux qui crient que les indépendants sont riches, qu’ils n’avaient qu’à réfléchir aux risques avant de se lancer n’auront jamais besoin d’un psychologue ? Est-ce que ceux qui « aident » - même si je conçois que cette aide soit loin d’être suffisante – les commerces et l’artisanat, n’auront jamais eux-mêmes, ni personne parmi leur proches, besoin de voir un psychologue ?

J’espère que non, parce qu’à l’allure que prend l’adaptation des aides, ou comme le disait l’un de nos ministres lors de l’émission « Background am Gespreich » du 18 mars 2020 « Do maache mer eng Nobesserung »1, de nombreux indépendants, et non seulement les psychologues, auront pris la décision de mettre la clé sous la porte. Cela fait plus d’un mois que le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 a mis une fin aux activités de bon nombre de professionnels. Même si la poursuite des activités de psychologue n’a pas été interdite, une chute notable du chiffre d’affaires, qui tend vers zéro, n’a pas tardée. Il se trouve que bon nombre de professionnels se trouvent depuis plus d’un mois sans, ou quasi sans, revenus avec des frais fixes qui restent dus.

Les aides non-remboursables de 5000€, respectivement de 2500€, prévues dans des règlements grand-ducaux subséquents, à part le fait d’être très peu équitables et de ne pas tenir compte de l’étendue de la perte financière, excluent de nouveau certains indépendants.

On se trouve donc dans une situation de perte financière notable, mais également de perte d’estime de toute une population de travailleurs indépendants à qui on transmet actuellement le sentiment d’être inutiles et de ne pas mériter de soutien… Mais ça ils ou elles s’en rendront compte le jour où ils auront peut-être besoin de l’un de nous et qu’il n’y aura plus personne… juste des anciens, ou ferais-je mieux de dire des ex-indépendants, ayant abandonné une passion pour la raison.

Dr. Michèle Pisani
Psychologue, spécialisée en neuropsychologie clinique

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