Nul le nucléaire, vent et soleil au top ! Est-ce bien sérieux ?

Oui, Françoise, j'ai écouté avec curiosité l'intervention de M. Spautz, expert nucléaire chez Greenpeace Luxembourg, sur RTL (carte blanche) [Umierkung vun der Redaktioun: Et war keng Carte Blanche, mä en Interview mam Roger Spautz]
Il a des convictions inébranlables, il les exprime avec force, mais sont-elles corroborées par des chiffres, ou par l'évolution récente des connaissances ? Je me permets d'en douter :
1) Il croît qu'on n'a pas besoin de nucléaire et qu'avec les renouvelables seuls on va y arriver. Peut-être ben que oui, nul ne connaît l'avenir. Cependant pour le moment on en est très loin, avec encore de nombreux obstacles à franchir. L’Allemagne, la plus avancée des grands pays, devrait multiplier ses vent-soleil au moins par 3 pour couvrir, mais seulement en moyenne, ses besoins (actuels !) en électricité. Mais pour couvrir les besoins en énergie totale, incluant les carburants des véhicules, le chauffage, l’industrie etc, le facteur de multiplication supplémentaire serait encore de 3 à 5 ! Tout ceci avec l’hypothèse que les problèmes d'intermittence et de stockage soient résolus ce qui n'existe encore que sur le papier. La stabilité du réseau en fréquence et tension est actuellement assurée par les nombreuses centrales fossiles ainsi que par le couplage au réseau européen où il y a encore beaucoup de bonnes vieilles centrales pilotables au charbon et au nucléaire.. Remplacer tout cela partout en Europe (et dans le monde) nécessitera énormément d'investissements et pendant très longtemps, occupera énormément d’espace, consommera beaucoup de matériaux rares que les mines actuelles ne sont pas capables de fournir en si grandes quantités. Et il faudra beaucoup de chance pour que les projets papier se réalisent comme souhaité.
Les fossiles resteront donc encore pendant longtemps indispensables, avec tous leurs rejets de CO2 et autres saloperies à la clé. Actuellement l'Allemagne rejette, par kWh d’électricité produite 7 fois plus de CO2que la France. (calculé d’après [Lauer]) Et ses rejets totaux de CO2, en kg/habitant (empreinte carbone), incluant tous les autres produits, sont environ 2 fois plus forts par habitant. Ses rejets ont encore augmenté récemment avec le remplacement du gaz par le charbon, et continuent de le faire avec l’arrêt des dernières centrales nucléaires.
2) M Spautz s'est payé un voyage à Fukushima et a constaté que c'était terrible. Je n'y suis jamais allé, mais je crois que c'était très dur pour les habitants. Aussi j'ai lu les rapports de l'OCDE, de l'UNSCEAR... qui donnent des chiffres...
S'il y a beaucoup de réservoirs qui contiennent de l'eau contaminée, c'est évidemment lourd à gérer, mais ça prouve aussi que les Japonais, après leur grosse bêtise initiale (protection anti-tsunami trop faible) ont tout fait pour limiter les dégâts et contenir au maximum la radioactivité. Ils ont si bien fait, et ils ont évacué les populations avec une telle prudence, que quelques années plus tard, quand tous les experts de l’ONU (UNSCEAR, OMS) et d’autres organismes internationaux ont analysé les conséquences à partir des enregistrements de terrain, ils ont pu conclure que l'accident de Fukushima n'a pas conduit et ne conduira pas à des morts par irradiation. Cependant les évacuations d’urgence ou prolongée de plus de 100 000 personnes, commencées en plein hiver sur un terrain inondé par le tsunami, ont entraîné autour de 1600 décès, surtout parmi les vieux et malades. Dix ans plus tard, les Japonais ont pu montrer que ces évacuations ont fait perdre 3 fois plus d'heures-vie qu'elles n'en ont épargnées du fait des irradiations évitées. D'un point de vue strictement comptable elles étaient donc contreproductives.[Oka]
En comparaison, d'après un rapport commandé par Greenpeace, il y aurait 3000 décès tous les ans en Allemagne dus aux centrales au charbon... la Pologne compterait 40 000 décès annuels imputables au charbon et l'Europe plus de 100 000 dus à la pollution atmosphérique ... On ne parlera pas du gaz, dont les décès annuels sont peut-être moins nombreux que ceux du charbon, mais bien plus spectaculaires et traumatisants .... et comme l’hydrogène, censé jouer un rôle de premier plan dans l'énergie du futur, est encore bien plus volatil et explosif que le gaz, on n’est pas au bout des problèmes...
3) les déchets dont le problème ne serait pas résolu ! Quel problème ? Depuis 60 ans que les réacteurs en fabriquent ils s'accumulent dans le monde, ils trainent dans des piscines, des fûts en surface ou légèrement enfouis et aucune irradiation accidentelle ne leur est imputable. Et leur radioactivité décroit tous les jours, ceux qui vont rester longtemps sont essentiellement les actinides émetteurs alpha qui sont très peu pénétrants, ils ne passent pas à travers la peau, mais ils sont très dangereux à l'ingestion ou l'inhalation. Mais comme ce sont des éléments très lourds (densité entre 10 et 20) ils ne sont pas mobiles ; avec des températures de fusion et d’évaporation autour de 3000 °C ils ne sont pas volatils (oxydes métalliques lourds) et ont surtout tendance à rester là où ils sont. A Fukushima ils ne sont même pas sortis du réacteur en fusion.
Néanmoins, à cause de leur mauvaise réputation, qu'on ravive tous les jours sans qu'ils aient fait du mal, on envisage un peu partout de les enterrer dans des formations géologiques profondes et étanches depuis des millions d'années. Chaque pays préconise une autre solution qui dépend de sa gestion du combustible et de sa géologie. Ce qui fait dire à certains qu'on "n'a pas de solution."
Au contraire, on en a pléthore, mais nul ne sait laquelle est la meilleure, cela se saura dans 5000 ou 100 000 ans. Ou même pas, car si aucun radionucléide ne s’échappe, la meilleure aura été la moins chère. L'Allemagne avait une très bonne solution à Gorleben, les Verts et Greenpeace n'en ont pas voulu, alors l'Allemagne a pour une fois pris une très bonne décision, elle a différé la décision jusqu'en 2068 ce qui lui permettra peut-être de constater à ce moment-là que ces « déchets » sont des produits extrêmement précieux pour lesquels l'humanité aura trouvé des tas d'utilisations très précieuses ? (qui savait il y a 35 ans qu'on aurait un tel besoin de cobalt et de terres rares?) Et déjà maintenant on sait que certains de ces « déchets », étant fissiles, présentent un potentiel énergétique très important. Et d'ici là on constatera peut-être aussi qu'ils peuvent rester encore une centaine d'années en surface sans gêner personne ou être utilisés comme combustible dans de nouveaux types de réacteurs et on aura fait de bonnes économies.
4) Tchernobyl était plus sérieux, les mêmes organismes UNSCEAR et OMS etc.. ont estimé à 4000 le nombre potentiel des cancers induits pendant 50 ans, mais le réacteur était physiquement très diffèrent de ceux de Fukushima (REB) et de ceux opérationnels en Occident, (REP, comme Cattenom) ce qui a permis une excursion de puissance violente conduisant à des rejets massifs, ce qui, lors d'une perte de refroidissement, est impossible ailleurs. Et aussi la gestion de l'accident était catastrophique avec les autorités soviétiques moscovites voulant cacher la gravité, et ne procédant aux mesures de sécurité et d'évacuation des populations que beaucoup plus tard. Ainsi, les nombreux cancers de la thyroïde soignés chez les jeunes de -18 ans (mortalité < 1%) auraient pu être évités si on n’avait pas laissé pendant les premiers jours les enfants jouer en plein air, boire du lait frais de vache, et si on avait administré des pastilles d’iode inactif car ces cancers sont essentiellement dus à l’iode radioactif qui a complètement disparu après un mois ou deux.
Finalement, ces grands accidents ont apporté beaucoup de progrès, réacteurs améliorés, surveillance renforcée, équipes d’intervention spéciale créées, et la sûreté est certainement très augmentée, avec la probabilité d’occurrence d’un accident et sa gravité potentielle beaucoup plus faibles que pendant les 60 années pionnières ?
5) M. Spautz fustige comme il se doit le "lobby" nucléaire. Mais toute l'industrie nucléaire appartient, en France, essentiellement à l’état (EDF, ORANO, les turbines ALSTOM ….). Et si elle fait du bénéfice c'est tout bon pour la caisse de tout le monde. Aucun particulier ni organisme financier ne s'est enrichi avec le nucléaire. Ce qui contraste avec les multiples industriels privés des renouvelables qui se font du bon beurre avec les contrats juteux incitatifs.
De toutes façons, actuellement, les bénéfices dans le nucléaire sont maigres, les juteux d'autrefois ont été encaissés joyeusement par l'état qui n'a pas mis de provisions de côté pour le renouvellement. Sous la pression verte, l'état, mauvais gestionnaire et surtout obsédé par les voix des électeurs, croyait ou voulait croire aussi pouvoir se passer du nucléaire, et maintenant encore la vache à lait EDF est obligée de soutenir ses concurrents pour faciliter l'éclosion de la concurrence sur le marché européen. (mécanisme ARENH = accès régulé à l'électricité nucléaire historique où EDF doit céder le quart de sa production à prix coûtant à ses nouveaux concurrents comme TOTAL, ENGIE et des dizaines d’autres)
Les déjà très nombreux lobbyistes des renouvelables ne sont pas les seuls, le jour de l'arrêt des dernières centrales allemandes, j'ai lu dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung une citation d'un éminent économiste, Andrea Löschel, président de la Commission qui conseille le gouvernement allemand sur l'Energiewende, et qui vantait la qualité, la disponibilité et la souplesse des centrales au charbon allemandes. Interpellé sur leurs rejets de CO2, il estimait cela sans conséquence tant qu'ils restent en-dessous des plafonds fixés à Bruxelles et compensés par le rachat de droits sur le marché des émissions ! On croît rêver ! Le CO2 en-dessous des obligations ou « recapturé » par le versement de quelques € n'aurait donc pas d'impact sur le climat ?!!! On comprend mieux quand on sait que M. Löschel est professeur d'économie à l'Université de Bochum, au coeur de la région charbonnière de la Ruhr !!!!
En face, les "lobbyistes du nucléaire", qui sont-ils ? J'ai quelques vieux copains retraités du nucléaire qui se souviennent encore de ce qu'est l'énergie et combien il en faut, et qui s'inquiètent sérieusement de voir disparaître cette belle connaissance scientifique et technique acquise pendant des décennies par des milliers d'agents, et de devoir un jour la racheter à grands frais aux Russes, Chinois ou autres. S'ils veulent bien nous la vendre sans nous mettre dans une dépendance exorbitante ! Et de plus en plus de gens de bon sens, sans aucune attache au nucléaire, se posent aussi de sérieuses questions (articles récents dans la presse luxembourgeoise : Tarrach, Goebbels, Heinen ...) Et dans la presse allemande, il y a aussi de plus en plus de voix qui s’élèvent, et pas des moindres, à commencer par le « Bundesrechnungshof » [BHO] ou Cour des comptes fédérale, et bien d’autres...)
6) M Spautz s’inquiète de ce que chaque € dépensé pour le nucléaire va manquer aux renouvelables ! Argument déjà entendu dans la bouche du Ministre luxembourgeois de l’énergie ! Et qui paraît mathématique, aussi fort que le corollaire, chaque € dépensé pour les renouvelables va manquer au nucléaire.
Alors ne faudrait-il pas d’abord savoir où l’investissement de cet € tant convoité est le plus efficace ? Les Verts argumentent qu’il faut 3 à 5 ans pour construire un parc éolien, contre 12 à 15 pour une centrale nucléaire et comme on est pressés, il faut faire des renouvelables !
Il est vrai que dans une nouvelle série nucléaire, le premier réacteur ne sera prêt que dans 15 ans. Mais selon la cadence des mises en chantier successives les autres peuvent suivre comme les petits pains chez le boulanger. En France, le planning minimal annoncé par le Président Macron en février 2022 à Belfort, prévoit la construction d’une série de 6 réacteurs, avec une nouvelle mise en chantier tous les deux ans. S’il faut 15 ans pour que le premier soit opérationnel, les autres suivront à intervalles de 2 ans et en 25 ans toute la série sera achevée et produira annuellement 66 TWh, ce qui est le double de ce que tous les vent-soleil, construits en 25 ans, ne peuvent fournir. Et le produira de façon régulière sans les soubresauts imprévisibles des renouvelables. Qu’au terme de ces 25 ans il faudra déjà commencer à remplacer, car la durée de ces équipements est courte.
Et encore, cette ambition nucléaire est extrêmement modeste, elle pâlit devant ce que la France a réalisé entre 1970 et 1995 où elle a construit près de 60 réacteurs pendant le même intervalle. Et qui pendant plus de 30 ans déjà ont fourni l’essentiel du courant consommé en France, de façon fiable, sûre et économique. Et dont certains ont encore une longue carrière devant eux.
A côté de ce timide pas vers le nucléaire, la France prévoit au départ des investissements nettement supérieurs dans les vent-soleil. Sous l’influence de la mode, des règlements européens, de la pression des écolos et lobbies industriels verts, des électeurs à qui l'on promet monts et merveilles, le programme annoncé dans le même discours de Belfort prévoit l’installation d’une nouvelle capacité éolienne et solaire d’environ 4 fois supérieure à celle des 6 réacteurs. Et cela, sans avoir de perspective claire sur la façon de résoudre les problèmes d’intermittence et des moyens nécessaires pour le stockage, la stabilité du réseau, le besoin rémanent de centrales fossiles pour suppléer aux pannes de vent et de soleil.
Malgré cela, M. Spautz n’est pas content. Il voudrait tout ! Lui et ses amis de Greenpeace, ainsi que leurs sponsors politiques et industriels, sont sûrs que tous les problèmes seront résolus, ils ont mille idées mais aucune n’a jamais prouvé sa viabilité technique et économique à grande échelle. Qu’à cela ne tienne ; si leur solution prend du retard, on gardera le charbon plus longtemps ; si le courant devient plus cher, on en consommera moins et on s’approchera plus vite de cette société de sobriété qui, paraît-il, nous apportera le bonheur.
Il ne faudra surtout pas qu’il reste de la concurrence nucléaire qui pourrait gâcher la fête, avec son courant fiable, stable sur le réseau, et même, qui sait, potentiellement plus économique. D’où l’acharnement de tous les promoteurs du renouvelable de freiner le nucléaire tant qu’ils peuvent, d’arrêter les dernières centrales qui marchent bien, de le bannir de toutes les subventions ou avantages fiscaux dont jouissent tous les autres moyens censés favorables dans la crise climatique. Et quand il sera bien mort au fond du puits, on sera bien tranquilles, les clients seront bien obligés d’acheter le courant renouvelable « quoi qu’il en coûte », et même, si nécessaire, d’accepter l’utilisation prolongée, « transitoirement pendant quelques années », des fossiles tant honnis !
Où est l’urgence climatique tant évoquée par les Verts ? Si vraiment ils étaient sérieux, comment pourraient-ils applaudir l’Allemagne qui vient d’arrêter ses trois derniers réacteurs nucléaires ? Ceux-ci, en 2022, ont encore produit 37.5 TWh d’une électricité décarbonée, fiable et stable en tension et fréquence, ce qui fait 30 % de toute son l’électricité éolienne, sur terre et en mer ! (calculs d’après données Lauer).. Rien que pour rattraper cette énorme glissade en arrière, il faudra que l’Allemagne construise très rapidement le tiers des éoliennes érigées depuis 25 ans ! Et qu’elle s’occupe enfin de l’intermittence et de la stabilité du réseau sans se reposer pour cela sur le charbon, le sien et celui des autres !
Et comment, avec des Euros si rares, peut-on approuver cette Allemagne qui en jette des milliards par la fenêtre, en arrêtant des machines efficaces en excellent état et favorables au climat, uniquement pour montrer que son allégeance à une vieille idée chérie est toujours intacte ?
7) Devant un comportement aussi incohérent, peut-on réagir autrement que par cette indignation plus que deux fois millénaire :
Quousque tandem abutere, Germania, credulitate nostra ?
Quamdiu etiam sequeris, cara patria, istum ducem sin luce ?
Quam nummi profundis, misera, adulando vanitatem Ministri? *
* « Jusqu’où, à la fin, vas-tu abuser, oh Allemagne, de notre crédulité ? Et jusqu’à quand, pardi, vas-tu suivre, chère patrie, ce guide sans lumière ? Et combien de sous vas-tu gaspiller, oh misérable, pour flatter la vanité du Ministre ? »
Plagiat libre de Ciceron s’adressant à Catilina.
Références
[BHO] (Bericht nach § 99 BHO zur Umsetzung der Energiewende im Hinblick auf die Versorgungssicherheit und Bezahlbarkeit bei Elektrizität, Mäerz 2021).
[Lauer] Hartmut Lauer : « Allemagne Energies » site internet
[Oka ] Yoshiaki Oka, Emeritus Professor University Tokyo: „Risks and benefits of evacuation in TEPCO's Fukushima Daiichi nuclear power station accident" in „Progress in Nuclear Engineering" , Elsevier
[OMS] Organisation Mondiale de la Santé : Tchernobyl : « l’ampleur réelle de l’accident » ; Communiqué conjoint OMS/IAEA/UNDP (2005)
[Spautz] http://www.rtl.lu/news/national/a/2060416.html
[UNSCEAR] United Nations Scientific Committee on the effects of Atomic Radiation: “Fukushima: Sources, Effects and Risks of Ionizing Radiation” 2013
Gaston Kayser, ingénieur retraité,