
Alexis de Tocqueville écrit : « il fallut que Jésus-Christ vînt sur la terre pour faire comprendre que tous les membres de l’espèce humaine étaient naturellement semblables et égaux » (voir De la démocratie en Amérique, Tome II, partie I, chapitre 3), adhérant ainsi à l’anthropologie chrétienne (voir p. ex. Gal 3,28 / Col 3,10-11 / l’épître à Philémon) dont le christianisme doit témoigner en acte et en parole. Il faut en effet que ses représentants réalisent ce qu’on chante à Noël : « Le Rédempteur a brisé toute entrave / La terre est libre et le ciel est ouvert / Il voit un frère où n’était qu’un esclave / L’amour unit ceux qu’enchaînait le fer / Qui lui dira notre reconnaissance ? » (Voir le cantique « Minuit, chrétiens »).
Toute naissance d’un enfant humain est la naissance d’un être personnel en qui la création corporelle, végétale et animale prend humainement conscience d’elle-même (voir Gn 1,1-2,4a). C’est un événement important et solennel qui commande une profonde reconnaissance de la part du genre humain. Aussi faut-il observer que chaque être humain naît « enfant » et que l’enfance se situe au cœur de l’humanité (pour y être reçue). Par sa naissance, l’être humain est un être enfanté (qui communique sans parler, voir le latin « in-fans », et qui pour parler, a besoin/ soin de l’apprendre), ce que la littérature d’inspiration chrétienne rappelle souvent en référence à l’Évangile. Ainsi par exemple, Charles Dickens aime citer Mc 9,33-37 (ou Mc 10,13-16 ; Mt 18,1-5 ; Lc 9,46-48 et 18,15-17) : « “And He took a child, and set him in the midst of them.” Where had Scrooge heard those words? He had not dreamed them » (voir A Christmas Carol, « stave IV »). Pour introduire l’humanité à l’humanisme, l’anthropologie chrétienne ne manque pas de tenir compte de l’enfance tout en s’interrogeant sur l’origine et l’importance de notre existence individuelle.
Le christianisme retient qu’en Jésus né à Bethléem (appelé « Emmanuel », voir Mt 1,23) la création se découvre au regard de l’Être divin qui la comprend tout entière, y compris l’être humain qu’il est lui-même non pas sans naître ni mourir (voir Noël et Pâques compte tenu de la crèche et de la croix), mais en se manifestant comme l’auteur incarné de la perfection présupposée de tout le créé, le garant originel de la création tout entière que l’Être divin comprend sans défaut ni déclin. En termes d’existence, il convient à vrai dire de ne pas raisonner à partir de l’insuffisance, mais de jouir raisonnablement de l’autosuffisance nécessairement théologique.
N’être tout simplement qu’un être humain, cela ne s’entend pas qu’à partir d’un néant forcément relatif comme ouverture au « ne… que », mais fait aussi et surtout référence à l’Un « dont plus grand ne peut être pensé » (voir Anselme de Cantorbéry, Proslogion, chapitre II, traduction par Michel Corbin) alors que tout « ce qui n’est pas tel est moindre en effet que ce qui peut être pensé » (ibid., chapitre V), le fait d’être simplement humain relevant de l’Éternel suréminemment relationnel. Le mot latin « simplex » se rapporte en effet comme « semel » à « sem » qui est synonyme du grec « hen » (« un ») et qui dans l’anthropologie chrétienne joue un rôle prépondérant tout comme réconciliant : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21) en révélation de la paix tout à fait ainsi que parfaitement universelle (voir Jn 14,27). À Noël, celle-ci s’entend par et pour l’enfant : ubi puer, ibi pax !