De Jérome an d'Bea ënnerhale sech mat der Amélie Nothomb iwwer hir Bicher, hir Passioun fir Japan an hir Verbindung zu Lëtzebuerg

34 Bicher huet déi belsch Schrëftstellerin zënter 1992 erausbruecht. Hire vir-virleschte Roman mam Titel "Psychopompe" ass elo op Däitsch beim Schwäizer Diogenes Verlag erauskomm. Am Interview erzielt si ënner anerem vun engem traumateschen Erliefnis, dat si an dësem Roman verschafft huet, awer och vun hirer Léift zu Japan, dat Land, an deem si déi éischt 5 Joer vun hirem Liewe verbruecht huet. Als Duechter vun engem Diplomat ass si vill gereest an huet vill verschidde Länner kennegeléiert. D'Wuerzele vun der Famill Nothomb féieren awer och nach an en anert Land... op Lëtzebuerg.

Hei d'Gespréich mat der Amélie Nothomb, dat op hire Wonsch iwwer Telefon opgeholl gouf. Leider ass deementspriechend d'Tounqualitéit net optimal, woufir mir eis entschëllegen. Fir dass Dir näischt verpasst, fannt Dir en Transkript vum ganzen Interview an dësem Artikel.

De BicherLies-Interview: D'Amélie Nothomb am Gespréich
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De Jérôme an d'Bea hu sech fläisseg an d'Wierk vun der Amélie Nothomb eragelies!

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Den Interview mat der Amélie Nothomb als Transkript:

Bea Kneip : Bonjour et merci d’avoir accepté notre invitation.
Amélie Nothomb : Merci à vous.

Bea Kneip : Vous venez de sortir en France votre 34ᵉ livre, intitulé Tant mieux, et votre avant-avant-dernier roman, Psychopompe, est récemment paru en tradution allemande chez Diogenes, votre fidèle maison d’édition suisse. Et c’est justement de cet ouvrage – mais aussi du lien profond que vous avez avec le Japon — que nous voudrions parler aujourd’hui avec vous.
Amélie Nothomb: Avec plaisir.

Jérôme Jaminet: Amélie Nothomb, je crois que c’est dans « La nostalgie heureuse », que vous écrivez : « Tout ce qu’on aime devient fiction ». Mais peut-être dire qu’on pourrait dire aussi que tout ce qu’on est peut devenir fiction. Et inversement : tout ce qui est fiction peut devenir une partie de soi-même. En fait, on a l’impression que, livre après livre, vous vous créez vous même en vous racontant, ce qui entraîne une sorte d’identité autopoietique avec des couches superposées - et on ne sait pas très bien où finit la personne et où commence le personnage. Donc, on se demande forcément : Quand on vous parle aujourd’hui, c’est à quelle Amélie Nothomb qu’on s’addresse..
Amélie Nothomb : A mes yeux, il n’y en a qu’une seule. On est fait de récits. Ce n’est pas une spécificité de moi-même. Tout le monde est fait de récits. Quand à savoir si le récit est le réel, c’est une chose très compliquée. Nous avons tous notre interprétation du réel. Donc, mon récit, c’est ce que je tiens pour ma vérité. Donc il n’y a qu’un seul moi, c’est celui auquel vous parlez.

Jérôme Jaminet : D’accord, et au plaisir de vous parler.
Amélie Nothomb : Pour moi aussi.

Bea Kneip : Votre livre « Psychopompe » commence par un conte japonais, celui de la femme grue. A quel point est- ce que la culture et aussi la littérature japonaise ont-elles influencé vos propres écrits ?
Amélie Nothomb : Oh, elles m’ont très profondément influencées. Mais les toutes premières années de ma vie ont été vraiment éduquées dans deux cultures, aussi bien la culture française que la culture japonaise. C’est à peine que je l’ai différencié quand j’étais toute petite. Donc les contes japonais ont été aussi importants pour moi que les contes occidentaux tels que Blanche-Neige ou Cendrillon. Le conte de la grue blanche qui constitue l’incipit de mon récit est pour moi un conte fondateur.

Jérôme Jaminet : « Psychopompe » c’est le titre de votre livre. Le terme désigne un guide qui mène les âmes vers le royaume des morts, voire celui qui essaie de les mener hors de ce royaume. Ce guide est représenté dans la mythologie grec par Hermès respectivement par Orphée. C’est aussi le surnom de la colombe chrétienne, symbole du Saint-Esprit, et d’ailleurs vous en parlez. Pourquoi ce désir, chez votre alter ego romanesque, d’accompagner les ou du moins certains morts par le biais de l’écriture. Et en fait, commen ça se fait?
Amélie Nothomb : A la base, ce n’est pas du tout une entreprise romanesque. Il se trouve que comme tout le monde, j’ai perdu des êtres chers. Et certains êtres chers que j’ai perdus m’ont donné l’impression d’entrer en contact avec moi. C’est le petit sens que je donne au mot « psychopompe ». Le mot psychopompe, comme vous l’avez très bien dit, est à la base un terme de mythologie, mais je propose aussi un emploi usuel de l’adjectif psychopompe. Est psychopompe toute personne qui à quelque titre que ce soit reçoit un signe d’un mort et le considère comme vrai. La publication de psychopompe m’a emmené à découvrir que nous étions très nombreux à être psychopompes. Donc, ayant vécu ce genre d’expérience au quotidien, il me paraissait tout à fait normal qu’il y ait un prolongement écrit, d’autant plus que l’écriture est en rapport avec la mort. Il est donc logique que l’expérience psychopompe comme être vivant ait aussi un prolongement dans l’écriture.

Jérôme Jaminet : Et ça se passait au moins trois fois chez vous, dans « Premier sang », «Soif » et « Psychopompe ». C’est une fois le père, une fois le fils de dieu et une fois le Saint-Esprit, n’est-ce pas ? Pourquoi cette structure trinitaire ? Est-ce que vous l’avez choisie ? 
Amélie Nothomb : Je ne l’ai pas fait exprès, je vous jure que je ne l’ai pas fait exprès. C’est vrai que j’ai écrit « Soif » et puis j’ai écrit « Premier sang », donc le fils et puis le père, et là beaucoup de lecteurs m’ont dit, tiens c’est drôle, il ne manque plus que le Saint-Esprit. Donc à la base, c’était juste une plaisanterie, puis en y réfléchissant, je me suis dit, mais c’est quoi, le Saint-Esprit, en fait ? Et c’est là que, au bout de ma réflexion, j’ai trouvé le psychopompe et le psychopompe c’est très intéressant parce que, voilà c’était justement le troisième côté, le côté qui me manquait et qui explique un petit peu ce que je viens faire au milieu de tout ça.

Bea Kneip : Dans « Psychopompe », vous associez intimement votre passion pour les oiseaux - qui est présente dès l’enfance - à votre vocation d’écrivaine. Vous écrivez même : « écrire, c’est voler ». En quoi ce motif de l’oiseau est-il devenu le symbole central de votre imaginaire personnel et littéraire ?
Amélie Nothomb : Oh, à la base l’oiseau m’a frappé quand j’avais onze ans, à une époque ou j’étais très loin de me douter que j’allais devenir écrivain un jour mais c’est devenu une obsession, j’étais obsédée par les oiseaux pendant toute la fin de mon enfance et pendant toute mon adolescence. Et je me suis rendu compte plus tard en commençant à écrire et en y éprouvant de telles difficultés que mon chemin était celui de l’oiseau apprenant l’envol. Ecrire, c’est comme voler. C’est tomber et puis se retenir à la dernière minute. D’où la difficulté d’apprendre. Et apprendre à écrire c’est comme apprendre à maîtriser les lois de la pesanteur et le risque est très grand. Si on rate son écriture, c’est comme si on rate son envol. On peut juste s’écraser et mourir.

Jérôme Jaminet : Comment trouve-t-on l’angle juste ? Et est-ce qu’on peut le maintenir ?
Amélie Nothomb : C’est très difficile ! Et c’est une sensation physique. Il m’a fallu beaucoup de temps pour acquérir cette sensation physique. C’est vraiment un endroit du cœur ou on sent qu’on a le bon centre de gravité et si on n’est pas dans ce bon centre de gravité, ça ne sert à rien d’écrire, en tout cas pour moi. Je dois toujours retrouver cet endroit en moi pour savoir qu’écrire va avoir du sens, exactement comme un oiseau doit trouver son bon centre de gravité pour ne pas s’écraser en vol.

Bea Kneip : Il y a une scène centrale de ce roman qui évoque le viol que vous avez subi à l’âge de 12 ans. C’est écrit "d’un jet", on comprend ce qui se passe, mais c’est d’une manière un peu indirecte, avec une pudeur extrême mais aussi une force incroyable. Comment avez-vous trouvé cet équilibre entre le « non‑dit » et le « trop‑dit ». Comment avez-vous en fait concipée la description de cette scène douloureuse pour vous?
Amélie Nothomb : C’était très difficile. Il était indispensable que cette scène figure dans ce livre puisqu’après tout il est question de vie et de mort dans psychopompe. Donc il fallait que j’explique ce qu’avait été la mort pour moi à un certain âge de ma vie. Bon, donc je devais raconter la scène de manière qu’elle soit compréhensible et en même temps il fallait que je survive à l’écriture de cette scène. Donc, ces deux pages, je les ai écrites très vite et sans respirer. Comme ça, c’est fait. Et voilà ce que ça donne.

Jérôme Jaminet : Moi, je me demandais si vous écriviez encore pour survivre, parce que j’avais l’impression que l’écriture c’était une nécessité pour vous, c’était pour se construire et se tenir en vie en quelque sorte.
Amélie Nothomb : C’est exactement ça. J’écris pour survivre. Il ne m’est pas facile de vivre et sans l’écriture je n’y arriverais absolument pas.

Jérôme Jaminet : Ce livre, « Psychopompe », n’est pas seulement un hommage aux oiseaux, mais, comme beaucoup de vos autres livres, aussi une déclaration d’amour à la langue et à sa puissance d’expression. Il n’est pas étonnant que, parallèlement aux observations ornithologiques, le livre contienne également des réflexions étymologiques. Ce travail sur la langue, quelle importance a-t-il pour vous?]
Amélie Nothomb : Il est indissociable de mon écriture. Ecrire c’est aussi interroger ses instruments. Voilà, les mots sont à la fois une richesse extraordinaire et à la fois ils peuvent être une entrave. Et pour qu’ils ne soient pas une entrave, il faut les rendre transparents. Et une bonne manière de les rendre transparents, c’est de dire d’où ils viennent, de se servir de leur étymologie. L’étymologie a énormément apporté à l’écrivain.

Jérôme Jaminet : Parlons d’étymologie un peu dans un autre sens : vos racines et vos liens au Japon. Bea, tu as une question là-dessus, n’est-ce pas ?
Bea Kneip : Votre père était diplomate, donc vous avez beaucoup voyagé et beaucoup déménagé aussi quand vous étiez enfant. Vous avez quitté « votre » Japon à l’âge de 5 ans et ce départ a été très dur pour vous sûrement ?
Amélie Nothomb : Oui, je considère mon départ du Japon à l’âge de cinq ans comme mon choc fondateur. Je pense que c’est ce qui a fait de moi ce que je suis, c’est d’avoir été arrachée aux bras de ma nounou japonaise et du Japon quand j’avais cinq ans. C’est depuis que je suis un être de manque, un être de carence, c’est autour de ça que je me suis construite.

Jérôme Jaminet : Vous êtes retournée plusieurs fois au Japon, mais votre avant-dernier livre s’appelle « L’impossible retour ». Est-ce que c’était plus qu’un constat héraclitien de sorte : « On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve, ni voyager deux fois dans le même pays » ? Pourquoi cet impossible retour ?
Amélie Nothomb : Alors, ce retour est doublement impossible. D’abord pour la raison héraclitienne que vous dites très bien mais aussi parce que, à supposer que le fleuve n’est pas changé – je parle ici du Japon – on a changé. Quand on retrouve un lieu ou on a vécu, on vit une expérience impossible, à cause du changement du lieu et à cause de son changement à soi. Pour toutes ces raisons, le retour est impossible et on le sait. En plus, on a lu Proust, qui explique encore mieux pourquoi le retour est impossible et pourtant, on ne peut pas s’empêcher de retourner. Et il y a une culture, en tout cas, moi je suis comme ça, je ne peux pas m’empêcher de retourner. Et chaque fois que je retourne, je vis l’impossibilité de ce retour. Chaque retour est un déchirement supplémentaire. Mais c’est plus fort que moi. 
 
Bea Kneip : Toujours est-il que le pays est présent dans tous vos écrits. Vous partagez cette passion dans plusieurs livres - « Stupeur et tremblements », par exemple, « Métaphysique des tubes », « L’impossible retour », 2024, et aussi très récemment dans « Le Japon éternel – Voyage sous les fleurs d’un monde flottant » Déjà un titre plein de poésie et de beauté. Cela m’a beaucoup impressioné. Y-a-t-il une différence entre le Japon moderne, urbain d’un côté et celui plus rural et plus traditionnel de l’autre ?
Amélie Nothomb : Le Japon que j’ai connu dans mon enfance, c’était le Japon traditionnel. J’ai passé ma petite enfance dans le Kansai, dans les montagnes, dans un village. C’était le Japon d’avant. Quand je suis retournée au Japon comme jeune adulte, c’était à Tokyo, c’était dans le Japon moderne. Donc j’ai eu le choc de découvrir l’autre versant du Japon qui est un versant inhumain, bon, c’est intéressant, mais extrêmement difficile à vivre. Mais c’est ça ce qui est extraordinaire au Japon, c’est que ces deux Japons sont vrais en même temps, ils coexistent. Il y a à la fois, Tokyo, le Japon inhumain, fascinant mais inhumain et à la fois le Kansai, le vieux Japon qui est toujours là. Même à Tokyo, on peut le trouver. Donc aimer ce pays, c’est forcément s’intéresser à ces deux facettes de ce pays.

Jérôme Jaminet : Et vous aimez aussi la littérature japonaise. Est-ce qu’il y a un conseil que vous pouvez nous donner et aussi à nos auditeurs ? Qu’est-ce qu’il faut lire absolument ?
Amélie Nothomb : Il faut lire tous les auteurs japonais. Bon, il faut surtout lire les trois grands classiques Mishima, Kawabata et Tanizaki, c’est vraiment le trio de base. Il y a un livre de Tanizaki qui est très important, il s’appelle « Eloge de l’ombre ». Si on veut vraiment comprendre ce qu’est la spécificité japonaise, il faut lire « Eloge de l’ombre » de Tanizaki. Vraiment c’est lui qui a trouvé la meilleure définition du Japon.

Jérôme Jaminet : D’accord, et il faut rajouter qu’il faut lire vos livres aussi, bien entendu.
Amélie Nothomb : Tant qu’a faire, pourquoi pas…

Bea Kneip : Il paraît que vous écrivez trois fois plus de livres que vous n’en publiez réellement. Qui décide lequels seront publiés et selon quels critères ?
Amélie Nothomb : C’est moi qui décide. Je publie environ un livre sur trois ou sur quatre. Je suis en train d’écrire mon 112ième manuscrit, je n’en ai en tout publié que 34. C’est toujours la même chose. A la fin de l’hiver, je relis tout ce que j’ai écrit dans l’année et c’est à ce moment là que je décide, de façon très instinctive en me fiant à mon instinct et à mon désir, c’est à ce moment là que je décide lequel des trois livres de l’année je vais publier.

Bea Kneip : Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de ressortir un ancien manuscrit d’un tiroir pour le publier plus tard?
Amélie Nothomb : Jamais. 
Bea Kneip : Et vous ne comptez pas le faire à l’avenir?
Amélie Nothomb : Je ne compte pas le faire.

Bea Kneip : Une petite question qui m’intéresse encore, je crois que vous avez des habitudes d’écrire très bien définies. Vous commencez très tôt le matin. Comment vous écrivez ?
Amélie Nothomb : Tous les matins, je me réveille à quatre heures du matin et aussitôt je bois un demi-litre de thé noir beaucoup trop fort, à jeun. Et aussitôt je me jette dans l’écriture. C’est l’alliage du lever trop tôt et du thé trop fort provoque une espèce de séisme en moi…

Jérôme Jaminet : D’accord, je vais l’essayer…
Amélie Nothomb : Je sais que des gens l’ont essayé, ils sont simplement tombés malades 
Jérôme Jaminet : Okay, je suis alerté alors!
Amélie Nothomb : Voilà, et puis j’écris pendant quatre heures dans une espèce de fébrilité. Et voilà ce que ça donne.

Jérôme Jaminet : Chère Amélie Nothomb, pour conclure : Saviez-vous qu’une branche de votre arbre généalogique mène jusqu’au Luxembourg ?
Amélie Nothomb : Oui, je le sais ! Je le sais et ça me touche énormément. Mon père était tellement touché par cela qu’il avait revendiqué la double nationalité belgo-luxembourgeoise et il l’avait obtenue. Moi je ne l’ai pas obtenue, il faut se battre pour obtenir la nationalité luxembourgeoise, mais j’aime bien savoir que j’appartiens aussi à ce pays-là. 
Jérôme Jaminet : Ah, je crois qu’on vous la donnerait volontiers.
Bea Kneip : Absolument, on serait honoré.

Jérôme Jaminet : Je pensais en fait à Alphonse Camille Nothomb qui parait être un demi-frère de votre arrière-arrière-grand-père, du moins il est né à Pétange. Et sachant que vous avez aussi de très nombreux lecteurs et lectrices au Luxembourg, qui seraient sans doute ravis que vous veniez un jour visiter la terre natale de votre ancêtre -peut-on en avoir l’espoir ?
Amélie Nothomb : Ecoutez, sachez que je l’espère aussi. Ça ne sera pas dans l’immédiat parce que là j’ai un emploi du temps monstrueux pour tout 2025, mais sait-on jamais pour l’avenir. 
Bea Kneip : Ce serait génial. On aimerait beaucoup…
Jérôme Jaminet : …vous voir et vous entendre ici. 
Amélie Nothomb : Ça me fait très plaisir.
Jérôme Jaminet : Alors merci pour cet entretien et on vous souhaite une excellente journée.
Amélie Nothomb : A vous aussi, merci.